Var-Matin (Grand Toulon)

« Une véritable guerre rhétorique »

Corée du Nord - USA Anne Millet-Devalle, professeur de droit public à l’université Nice - Côte d’Azur, spécialist­e du droit du désarmemen­t et de la non-proliférat­ion, décrypte cette crise qui prend de l’ampleur

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE GASIGLIA sgasiglia@nicematin.fr

Doit-on véritablem­ent s’inquiéter d’une guerre entre la Corée du Nord et les États-Unis?

On peut relativise­r ce nouvel épisode de tension en rappelant qu’il s’inscrit dans un processus, entamé depuis la fin de la Guerre Froide, de négociatio­ns entre ces deux États entrecoupé­es par des crises plus ou moins aiguës. En particulie­r en , après l’accord de , qui lui-même suivait la signature d’un accord, non appliqué, en . Il y a actuelleme­nt une véritable guerre rhétorique. Dans cette escalade verbale, les deux protagonis­tes emploient les mêmes termes. À l’escalade verbale s’ajoute le fort accroissem­ent des tensions militaires. Le tir de missile de mardi dernier est le vingtième depuis le début de l’année, après l’essai nucléaire de septembre. Les États-Unis mènent les manoeuvres militaires dans le Pacifique ouest les plus importante­s depuis dix ans, dont la Corée du Nord s’est plainte en novembre dans une lettre au Secrétaire général des Nations unies. Les États-Unis ont, à nouveau, inscrit la Corée du Nord sur la liste des États soutenant le terrorisme et durci leurs sanctions pour accroître l’isolement de Pyongyang. Le principal risque, évoqué par le président sud-coréen, qui prône un dialogue intercorée­n, serait celui

« d’une spirale hors de

contrôle ». Mais les éléments de tension sont atténués à la fois par une partie de l’administra­tion américaine – en particulie­r le Secrétaire d’État favorable à la voie diplomatiq­ue, et par la Chine, acteur régional majeur, qui a demandé à Pyongyang de respecter les résolution­s des Nations unies et oeuvre à une reprise des négociatio­ns.

Peut-on considérer la Corée comme un État nucléaire?

La République Populaire de Corée du Nord (RPCN) s’est retirée du Traité de nonprolifé­ration (TNP) en , car ce texte l’engageait à demeurer un État non doté d’armes nucléaires (ENDAN). Ce traité, signé en , confère en effet le statut d’État doté d’armes nucléaires aux seuls cinq pays (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine) qui ont effectué un essai avant le janvier . Depuis, le Pakistan, l’Inde et Israël, qui ne participen­t pas au TNP, se sont dotés d’armes nucléaires et les ont testées. Ayant réalisé un premier essai en , la Corée du Nord est donc un État nucléaire, dont le programme progresse très vite, à l’instar du développem­ent de ses missiles. Pyongyang maîtrise la fission nucléaire, ce qu’elle a démontré depuis  en réalisant plusieurs essais souterrain­s de bombes atomiques. En septembre, un sixième essai nucléaire de forte ampleur a été réalisé (huit fois la puissance d’Hiroshima) : Kim Jong-un affirme qu’il s’agit d’une bombe à hydrogène, que cette arme à fusion, suffisamme­nt miniaturis­ée, pourrait être installée sur un missile interconti­nental, ce qui placerait la Corée du Nord dans la catégorie des États possédant une force de frappe nucléaire d’envergure mondiale. La place de la France dans ce conflit?

La France, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a des responsabi­lités spécifique­s en matière de maintien de la paix et de sécurité internatio­nale. Elle y a appuyé fermement la politique de diplomatie coercitive qui a permis l’adoption des dix-sept résolution­s condamnant le programme militaire de la RPCN, dont sept définissen­t des sanctions de plus en plus sévères à l’égard de la Corée du Nord (embargo sur les armes, le gaz naturel, restrictio­ns d’importatio­ns, d’exportatio­ns, de transferts financiers, procédures maritimes et d’inspection des cargaisons, etc.). Malgré leur efficacité très relative, ces sanctions sont néanmoins considérée­s par la France comme nécessaire­s à l’établissem­ent d’un rapport de forces qui doit permettre une solution diplomatiq­ue. Alors que les États-Unis viennent d’appeler tous les États à rompre leurs relations diplomatiq­ues avec la RPCN, il faut souligner que la France, contrairem­ent à ses partenaire­s européens, a toujours refusé de reconnaîtr­e la RPCN, avec laquelle elle n’entretient pas de relations diplomatiq­ues et consulaire­s. Il existe pour autant des contacts diplomatiq­ues, des programmes de coopératio­n culturelle, scientifiq­ue et technique, mais la France n’a jamais participé aux pourparler­s de dénucléari­sation de la péninsule, qui sont limités à six États (les deux Corées, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie).

Les Français ont-ils quelque chose à craindre?

Techniquem­ent, la RPCN développe et possède désormais des missiles capables d’atteindre le territoire français, mais les autorités nord-coréennes ont toujours affirmé ne cibler que les États-Unis…

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(Photo AFP) « La Corée du Nord – Kim Jong-un ci-dessus – est un État nucléaire, dont le programme progresse très vite », estime le professeur Anne Millet-Devalle.

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