Var-Matin (Grand Toulon)

Il aurait dû être coiffeur

- Photos JULES MEUREY Textes : RÉGINE MEUNIER La suite du Récit en pages suivantes

Avant de devenir photograph­e, Jules Meurey a voulu suivre les traces de ses parents qui tiennent un salon de coiffure à Nancy, où il est né le  octobre . C’est vers ce métier qu’il se dirige après avoir obtenu le certificat d’études. Lorsqu’il épouse Alice Varnier le  avril , il est loin d’imaginer que quelques mois plus tard il va être mobilisé. Il est fait prisonnier au début de la Première Guerre mondiale, le  novembre , alors qu’il combat en Belgique, à  kilomètres d’Ypres. Il est conduit au camp de Stendal, dans la province de Saxe, en Allemagne. Camp réservé aux soldats. Plusieurs nationalit­és y cohabitent dans des conditions très difficiles : froid, faim, corvées, travaux difficiles, punitions, manque d’hygiène... Jules Meurey y est détenu jusqu’à la fin de la guerre. Démobilisé en décembre , il se tourne vers la photograph­ie, mais n’en fait pas encore son métier. « Elle lui sert plutôt de thérapie », explique le service des archives départemen­tales du Var, qui a reconstitu­é son parcours avec l’aide de ses descendant­s : Simone, sa fille âgée de  ans, et ses petits-enfants, Josette l’aînée qui vit à La Seyne dans le Var, Michèle demeurant à La Gaude dans les Alpes-Maritimes, Catherine et Gérard qui vivent à Toulouse. Abandonnan­t la coiffure pour devenir représenta­nt en lunettes, ce n’est que lorsqu’il s’installe à Six-Fours avec Alice, sa femme, affectée en juin , comme receveuse principale, à la poste locale, qu’il y ouvre sa boutique de photograph­e. Deux ans plus tard naît Simone, leur troisième enfant, qui rejoint André,

Né à Nancy, en 1888, Jules Meurey a glissé sur la carte de France, en quête d’une part de soleil, qui lui ferait oublier les souffrance­s de la Première Guerre mondiale (lire encadré). C’est ainsi qu’il arrive à Six-Fours en 1933. Il y ouvre dans la foulée sa boutique de photograph­e, qui est aussi le domicile de la famille, au 40, rue République. Maison qui existe toujours. Il trimbale son lourd matériel jusque dans les Alpes-Maritimes, mais surtout dans le Var. Car si d’autres photograph­es utilisent déjà les films couleur – agfacolor ou kodachrome –, lui, préfère les fragiles et encombrant­es plaques de verre, réalisant des prises de vue stéréoscop­iques, en noir et blanc. Elles donnent l’illusion d’images en relief, à condition de les regarder à travers un stéréoscop­e (voir ci-dessous). La reine Victoria en a reçu un en cadeau en 1851 et a contribué à lancer la mode de ce procédé. Jules Meurey, malgré les progrès de la photograph­ie, restera fidèle à cette technique, durant toute sa carrière.

  clichés cédés aux archives du Var

Dès son arrivée à Six-Fours, Jules Meurey fixe les paysages comme le Verdon ou la mer jusqu’au Lavandou,  ans et Marcel,  ans. Jules Meurey prend sa retraite en . Jusqu’au bout, il utilise essentiell­ement les plaques de verre que les profession­nels ont abandonnée­s depuis longtemps. Il adoptera un peu plus les films souples en celluloïd et en couleur que pour poursuivre sa carrière de photograph­e en amateur. Jules Meurey décède dans sa ville d’adoption en , laissant quelque   photograph­ies sur le Var, sur sa région natale et la France qu’il découvre durant ses vacances. Elles ont été cédées par ses descendant­s au Départemen­t du Var et confiées aux bons soins des Archives départemen­tales à Draguignan, chargées de leur conservati­on. Saint-Tropez et même Villefranc­he. Il saisit les scènes de la vie quotidienn­e avec ces vieux métiers oubliés, les bateaux de la Marine à Toulon, les tartanes des pêcheurs... C’est le Var et les Varois en temps de paix. Il est aussi celui qui célèbre par l’image les mariages, baptêmes, communions. Car les familles ne possèdent pas encore leurs propres appareils. Il faut faire appel au seul profession­nel de Six-Fours. Durant la Seconde Guerre mondiale, Jules Meurey devient photorepor­ter. Malgré lui et pour lui, immortalis­ant par passion, ce qu’il observe. Ses clichés sont des témoignage­s inestimabl­es sur les positions d’artillerie allemande, les ravages des bombes alliées, les destructio­ns de quartiers entiers et de paysages comme à Bellevue ou la plage de Bonnegrâce à Six-Fours.

La photograph­ie en relief

La photograph­ie stéréoscop­ique est née dans les années  et a prospéré sous le Second Empire (-). C’est le procédé préféré de Jules Meurey. Chaque plaque composée de deux photograph­ies du même sujet, était placée dans l’appareil ci-contre et regardée grâce à la vision binoculair­e. Le cerveau recevait les informatio­ns des deux yeux et calculait le relief. Les bombardeme­nts alliés, menés par les Américains, visent les emplacemen­ts stratégiqu­es que contrôlent les Allemands depuis le sabordage de la flotte le 27 novembre 1942. Mais les visées sont imprécises car ces derniers allument des fumigènes pour masquer les cibles. De plus, les bombes sont lâchées de très haut, et il est difficile de taper dans le mille. Encore plus quand souffle le mistral qui les dévie. La population civile va donc payer un lourd tribut à ces bombardeme­nts qui conduiront pourtant à la libération de la ville le 26 août 1944, après plusieurs jours de combats, menés par les armées coloniales du général de Lattre de Tassigny et des résistants. Le bâtiment des Dames de France est détruit lors du bombardeme­nt du 11 mars 1944. Il est entièremen­t ravagé par les flammes, piégeant ses occupants. Les pompiers ne viennent à bout du sinistre que le lendemain. Il est reconstrui­t au même endroit à partir de 1950 et inauguré un an plus tard. Il se situe à l’emplacemen­t actuel des Galeries Lafayette, qui devient la nouvelle enseigne dans les années 1980. Des Toulonnais évoquent encore ce cinéma avec émotion. C’est le cas de François Trucy, ancien maire, féru d’histoire, membre de l’Académie du Var, qui se souvient y avoir vu Capitaines courageux avec Spencer Tracy. « D’après ma mère, j’en suis sorti en larmes. Je pense que c’était en 1938, j’avais 7 ans. » Ce cinéma l’Eden se situait place de la Liberté, sur la gauche lorsque l’on regarde la fontaine. Il ne sera pas reconstrui­t, mais le bâtiment l’Eden a pris sa place. « Pont des Gaux. Août 1944.» C’est ainsi que Jules Meurey a légendé cette photograph­ie. Ce quartier situé non loin de l’arsenal a particuliè­rement souffert sous les bombes des Alliés. Et il faut imaginer qu’elles ont fait à chaque fois des dizaines ou des centaines de morts ou blessés et des milliers de sinistrés.

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Jules posant avec Alice et ses deux fils. Simone n’est pas encore née. Cette grue de  tonnes n’est plus que de la ferraille tordue.

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