Dans l’ouest Var, la guerre tue et défigure les paysages
Jules Meurey, a laissé de nombreuses photographies prises à La Seyne, Six-Fours, Sanary ou Bandol dans les jours qui ont précédé ou suivi le débarquement en Provence le 15 août 1944
Le registre de l’état civil de La Seyne à la date du 29 avril 1944 porte à plusieurs reprises, la mention “Débris humains non indentifiés”.
Août 1944. La guerre vit ses derniers jours. Jules Meurey trimbale sa passion de photographe tantôt vers Sanary, tantôt vers La Seyne. Parfois il pousse jusqu’à Bandol. Ou bien il reste sur Six-Fours où se trouve sa boutique, dans laquelle les gens posent pour des portraits ou des photos d’identité. La plupart de ses images sur la côte ouest-varoise sont datées d’août 1944, d’autres ne le sont pas. Il veut laisser le témoignage de ce qu’il voit, dans ces zones occupées par les Allemands ou tout juste libérées. Les bombardements n’ont pas cessé depuis le début de l’année. Le 29 avril 1944, les Alliés mènent un nouveau raid massif sur Toulon. Mais les villes alentour sont aussi visées.
bombes sur Toulon en un jour
Les pilotes sont Américains. Leur mission est de détruire les navires de guerre mais aussi les pièces d’artillerie allemandes, placées sur les hauteurs autour de Toulon : au Mai, entre La Seyne et SixFours, mais aussi à la Cride, entre Sanary et Bandol, à La Cadière, Ollioules, ou encore à Saint-Mandrier, où se trouve au cap Cépet, celui que les Américains surnomment « Big Willy », un ensemble de canons de gros calibre – « 340 mm » – d’une portée de plus de trente kilomètres. « En deux vagues, 400 avions déversent 2000 bombes sur Toulon », racontent les Cahiers du patrimoine Ouest Varois, ouvrage signé par plusieurs auteurs dont les historiens Henri Ribot et Claude Majastre. « Il y a deux morts à l’Arsenal, 70 en ville mais aucun sous-marin allemand n’a été touché. » Les bombes de 250 kg – du type de celles qui parfois refont surface de nos jours – à plus d’une tonne, sont larguées par les superforteresses B17 ou B24, explique Claude Majastre. Elles s’abattent sur La Seyne dans les quartiers de Janas, MarVivo, Brémond, les Sablettes. 126 Seynois sont tués. La ville est sinistrée à 65 %. « Le registre de l’état-civil de La Seyne à la date du 29 avril 1944 porte à plusieurs reprises, la mention Débris humains non identifiés. » Les corps des victimes sont rassemblés à l’Institution Sainte-Marie. Lors de ce bombardement le port de Sanary, zone militaire allemande, est touché pour la première fois. Le 5 juillet Toulon subit une sixième attaque aérienne des Alliés. C’est aussi «le premier des bombardements précurseurs du débarquement », indique Henri Ribot. Il est concentré sur les zones Missiessy et Castigneau. L’eau et l’électricité sont coupées mais surtout deux U-boot sont touchés et cinq autres endommagés. Le 11 juillet, 80 bombes explosent sur l’arsenal, mais c’est à La Seyne que se produit une catastrophe : 92 personnes meurent après un mouvement de panique dans un émissaire commun en construction, où elles s’étaient réfugiées, comme des centaines d’autres. Les 12, 13 et 14 août, l’ouest Var vit « un arrosage aérien, annonciateur du débarquement», raconte Claude Majastre, Les avions sont des chasseurs P38 Lightning ou des bombardiers B26 Marauder ». Les batteries allemandes dans l’arrière-pays doivent être détruites. Le samedi 12, on dénombre trois morts à Ollioules, trois autres à La Cadière et quatre au Castellet. Le lendemain, il y en aura 13 à Ollioules et 11 à Sanary. Les forteresses volantes échappent aux tirs de la DCA allemande.
Six-Fours : l’inutile mur anti-débarquement
Le 14 août Radio Londres diffuse ses messages pour la Résistance : « Le chasseur est affamé », « Nancy a le torticolis »... Le jour d’après, le débarquement des troupes alliées commence entre Bormes et Saint-Raphaël, dans une zone peu probable estimaient les Allemands, tant elle est accidentée. La baie de Bonnegrâce à SixFours semblait plus propice à un débarquement. Les soldats du Reich avaient donc bâti un mur le long de la plage, complétant le mur dit de La Méditerranée par référence au mur de l’Atlantique. Ils ont abattu toutes les maisons, dont le très réputé hôtel Bellevue qui à l’époque porte le nom du quartier. Même les arbres ont été coupés car ils pouvaient gêner les tirs d’artillerie. Le 16 août, l’armée B – renommée plus tard première armée française – du général de Lattre de Tassigny débarque à son tour. Ses troupes, composées essentiellement des Tirailleurs sénégalais et marocains, aidés de résistants libèrent le Var, une ville après l’autre. C’est au tour de La Seyne, le 26 août, puis de Toulon après les derniers combats de rue. Mais aussi de Marseille. Le 28 à 8 h, l’amiral Ruhfus, commandant en chef des forces allemandes autour de Toulon, qui s’était réfugié à
Saint-Mandrier, se présente à Saint-Elme à La Seyne, où il est fait prisonnier. Le même jour, de Lattre de Tassigny envoie un télégramme au général de Gaulle : «...Aujourd’hui J+13, dans le secteur de mon armée, il ne reste plus un Allemand autre que mort ou captif. » La Provence est libre.