SOS centres-ville
« C’est d’un plan ambitieux que le pays a besoin. Seul l’Etat en a les moyens. »
D’abord, ce fut le bazar. Cette malle aux trésors de notre enfance, où l’on trouvait tout. Plumeaux, paniers, tapettes à souris, déguisements de carnaval, et même des martinets pour les enfants pas sages (c’était une autre époque). Le bazar, tenu par un vieux monsieur en blouse grise, a été le premier à fermer boutique. Trop de stock, pas assez de marge. Et personne pour reprendre le fonds. Pas fou ! Avec la concurrence des hypermarchés, vous n’y pensez pas ! Ensuite, ça a été le disquaire, le détaillant en électroménager (flingué par les grandes enseignes), le marchand de vêtements pour enfants (plus assez nombreux, les enfants), la mercerie (qui tricote encore ?), le magasin de jouets, le chausseur sachant chausser… Et puis les commerces de bouche ont été emportés à leur tour. Tripier, poissonnier, primeurs. Et pour finir, le boucher, dernier des Mohicans. Quand il a fini par capituler, victime des charges et de la viande en barquette des supermarchés, les gens ont regardé autour d’eux et se sont demandé, consternés : comment en est-on arrivé là ? Ainsi s’est abîmé sous nos yeux ce chef-d’oeuvre d’urbanisme et de convivialité, qui mériterait à l’instar du repas français d’être classé au Patrimoine mondial de l’Unesco : le coeur historique de nos bourgades. Là où le commerce tenait le haut du pavé, le long de la rue principale, ou sur la grand-place, entre la mairie et l‘église, ce ne sont, aujourd’hui, bien souvent, que devantures vides, rideaux baissés, vitrines aveugles, tapissées d’affiches électorales délavées et de papillons « à louer », « bail à céder »… Un crève-coeur. A qui la faute ? A tout le monde. Aux grandes surfaces qui dévorent tout sur leur passage (avant de se faire dévorer, demain, par Amazon et consorts ?) ; aux élus locaux, qui ont encouragé la prolifération des zones commerciales, génératrices d’emplois et de recettes fiscales ; à nous tous, consommateurs, qui voulons tout, le choix et les prix bas ; à l’époque : aujourd’hui, on fait ses courses une fois par semaine, on bourre le coffre de la voiture, il faut pouvoir « se garer devant ». Les chariots se remplissent, la ville se vide. Le commerce de proximité est le meilleur indicateur de l’état économique et moral d’une cité. Quand il périclite, les centresville se meurent. Les familles s’exilent. Le foncier se dégrade. La vie s’en va. Dans les rues et les places jadis si animées, s’installent la torpeur et l’insécurité. Et avec elles, le sentiment d’abandon, de relégation, qui mine la France « périphérique » et fait le lit des extrêmes. Est-ce pour cela que politiques, élus et agents économiques semblent enfin prendre la mesure du phénomène ? Quelque chose est en train de bouger. Christian Estrosi présentait, hier, dix mesures pour la redynamisation du commerce niçois. Contre le fléau des vacances commerciales, des maires de toutes étiquettes, élus de petites ou grandes villes, ont décidé de bloquer l’extension des grandes surfaces en périphérie. Tardivement, le gouvernement se saisit du problème. Voilà la revitalisation des centres-ville promue grande cause nationale. Après le déplacement d’Edouard Philippe à Cahors, on attend les mesures que doit annoncer, aujourd’hui, à Rodez, le ministre de la Cohésion des territoires, le cantalou Jacques Mézard. Des mesurettes seraient mal venues. C’est d’un plan ambitieux que le pays a besoin. Seul l’Etat en a les moyens. Car on ne corrigera pas les ravages de trente ans d’urbanisme centrifuge sans actionner tous les leviers à la fois : promotion du commerce de proximité, circulation et stationnement, réhabilitation du parc immobilier, présence des services publics, offre culturelle. Il ne s’agit pas de pasticher la ville des années . Le marchand de couleurs en blouse grise ne reviendra pas. Mais de refaire des centres-ville ce qu’ils ont vocation à être : des lieux où bat la vie.