Var-Matin (Grand Toulon)

Jean-Paul Bourdin défend les vétérans de la bombe A

Atteint d’un cancer de la peau, qu’il attribue à son passage à Mururoa, ce Brignolais d’adoption est le nouveau référent pour le Var de l’Associatio­n des vétérans des essais nucléaires

- PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Le teint hâlé. Un mètre soixantene­uf pour 71 kg. Une allure de jeune homme en quelque sorte. À 60 ans, Jean-Paul Bourdin respire la santé. Pendant près de 20 ans, il a d’ailleurs travaillé comme éducateur sportif pour la ville de Brignoles. «J’ai même été vice-champion de France vétéran de saut à la perche », précise l’intéressé, non sans une certaine fierté. Mais les apparences sont parfois trompeuses… Il y a cinq ans, on lui a en effet diagnostiq­ué un cancer de la peau. Une sale maladie qui lui a déjà valu pas moins de 14 opérations ! La dernière en date remonte au mois de juin dernier et lui a laissé une belle cicatrice sur le haut du front. «Tous les six mois en moyenne, je me fais opérer. Mais je n’ai jamais été en arrêt maladie. À chaque interventi­on, je pose des congés », insiste-t-il. On s’en doute, l’annonce de la maladie a été dure à digérer. Et pas que moralement. Diminué physiqueme­nt, Jean-Paul Bourdin a ainsi dû changer de poste. Contraint de mettre de côté sa passion pour le sport, depuis trois ans, il s’occupe des adolescent­s. Mais après être passé par des moments très difficiles – « j’ai fait quelques dépression­s», reconnaît-il – Jean-Paul Bourdin reprend du poil de la bête. Devenu en août dernier référent pour le Var de l’Associatio­n des vétérans des essais nucléaires (AVEN), il est bien décidé à défendre tous ceux qui, comme lui, ont participé de près ou de loin aux essais nucléaires français en Algérie ou en Polynésie et qui en payent le prix aujourd’hui. Car Jean-Paul Bourdin en est sûr : ses mélanomes à répétition ne sont pas le fruit d’une trop longue exposition aux rayons du soleil. S’il a été « irradié », c’est lors des essais nucléaires réalisés sur l’atoll de Mururoa, en Polynésie française. On l’aura compris : Jean-Paul Bourdin n’a pas toujours été fonctionna­ire municipal à Brignoles. Ainsi, de 1975 à 1978, il portait fièrement l’uniforme. «J’ai toujours été militaire dans l’âme. Je voulais faire carrière dans l’armée», confie-t-il. Le rêve d’une vie va malheureus­ement tourner court. « De février à août 1977, j’étais affecté à Mururoa. Pendant mon séjour sur cet atoll, j’ai assisté à cinq tirs nucléaires souterrain­s. Après chaque essai, avec un ou deux collègues, on était envoyé jusqu’au point 0. Je me rappelle qu’à l’issue du 5e tir, la route était fendue sur le lagon, faisant craindre une fuite dans le corail (...) On a été rapatrié sur l’île d’Hao pour décontamin­ation. À mon retour en métropole en 1978, on m’a demandé de résilier mon contrat. Autrement dit, de quitter l’armée. On a prétendu que je souffrais de troubles affectifs, que je ne supportais pas l’outre-mer», raconte Jean-Paul Bourdin. Froidement. Les raisons médicales invoquées tranchent avec les photos couleurs, un brin jaunies, sur lesquelles le caporal-chef Bourdin respire la joie de vivre et l’insoucianc­e de ses vingt ans…

Tous les six mois, je me fais opérer ”

Un as de la mécanique

Rendu à la vie civile, Jean-Paul Bourdin saura, heureuseme­nt, très vite rebondir. En 1979, il entame ainsi une brillante carrière de mécanicien et électricie­n automobile. Ce qui l’amènera à Brignoles en 1987, où il accepte un poste de chef d’atelier chez Citroën. Mais sa science du 6 cylindres lui vaudra une belle réputation pour un modèle totalement dépourvu de chevrons. « On me surnommait The Doctor PT Cruiser, en référence au modèle emblématiq­ue de Chrysler », confie l’intéressé, dans un large sourire. Preuve que, malgré la maladie, il a retrouvé le moral. Et l’énergie de se battre ! « J’ai vraiment envie de faire bouger les choses. Pour moi, bien sûr. Mais aussi pour mes enfants qui pourraient développer des maladies immunes. Et puis pour tous les vétérans des essais nucléaires, ainsi que les veuves et les enfants de ceux que la maladie a déjà emportés. » Déjà très impliqué dans la vie associativ­e de Brignoles (non seulement, il préside le club d’athlétisme de la ville depuis trente ans, mais il est également adhérent du Souvenir français, de l’Union nationale des combattant­s et des anciens des opérations extérieure­s, trois associatio­ns patriotiqu­es), Jean-Paul Bourdin n’a pas hésité une seconde à rejoindre l’AVEN, sitôt son cancer découvert. Avant de prendre les rênes de l’antenne varoise, en août dernier donc. Son combat : « Outre la prise en compte des problèmes de santé, on veut obtenir la reconnaiss­ance de la nation pour exposition aux risques encourus», explique JeanPaul Bourdin. Avant de lâcher, le plus sérieuseme­nt du monde : « J’aurais préféré être blessé par balle au cours d’un conflit, plutôt que de contracter ce cancer ».

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(Photo Hélène Dos Santos)

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