Var-Matin (Grand Toulon)

Thierry Marx : « La cuisine c’est du lien social ! »

Ce soir, la Saint-Sylvestre il la passera dans les cuisines du Sur Mesure, son restaurant étoilé à Paris. Ce qui n’empêche pas ce chef atypique de glisser quelques conseils. De table et de vie...

- PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE-SOPHIE DOUET (Agence locale de presse)

Vous avez grandi dans les quartiers sensibles, en Seine-Saint-Denis, notamment. Qu’est-ce que cela a forgé chez l’homme que vous êtes devenu ? Une grande déterminat­ion. Ma chance, c’est d’avoir bénéficié d’un cadre éducationn­el sur lequel j’ai pu m’appuyer. Ce cadre, c’est le sport qui me l’a offert. A  ans, j’ai découvert le judo. Cela m’a donné confiance en moi et permis de ne pas rester à tenir les murs comme le faisaient la plupart de mes copains. Quand on grandit dans les quartiers, tout peut basculer très vite. D’autant qu’au collège, j’ai décroché. Après la e, j’ai tout arrêté. Je ne pouvais même pas espérer faire sport-études, je n’avais pas le niveau scolaire pour ça.

Vous avez donc choisi la pâtisserie… Oui, alors que chez moi, on ne faisait pas à manger par plaisir. On avait une vision très économique de la cuisine. Mais j’aimais la pâtisserie. J’ai donc quitté la cité pour faire le tour de France avec les Compagnons du devoir. J’ai adoré cela : enfin, j’apprenais pour faire quelque chose.

C’est cette expérience qui vous a poussé à créer « Cuisine Mode d’emploi », une école de cuisine gratuite, pour que les jeunes issus des quartiers sortent de leur milieu ? Oui, j’ai réalisé que pour un mec qui réussit à sortir de sa cité, mille autres restent dans leur cage d’escalier. Moi, j’ai la hantise de la cage d’escalier. J’ai donc créé une école de cuisine [il existe désormais huit centres en France, ndlr], pour que ces jeunes aient un projet et s’y tiennent. Tout est gratuit, mais ilyaune contrepart­ie : pas de retard, pas d’absence. Sinon, c’est la porte. Et je me fiche de leur passé. Il faut lâcher la main du passé pour avancer. En douze semaines, ils ont un diplôme, un métier entre les mains. Ils en savent plus qu’avec un CAP cuisine qui se prépare en deux ans. A ce jour, nous avons formé   personnes. Quatre-vingt-quinze pour cent d’entre elles ont trouvé un emploi. Je ne suis ni une énigme, ni une exception, ni un héros. Mais je voulais faire quelque chose pour mes « potes ». La dimension sociale est indissocia­ble de vos activités. Vous animez aussi des ateliers de cuisine en prison… Oui, car la cuisine, c’est du lien social ! C’est aussi une activité transversa­le : pour faire une recette, on doit lire, compter, etc. J’ai fait le tour des prisons en France et en Europe. J’en ai tiré une conviction : si on peut punir en enfermant les gens, il manque un volet. Pour que ces gens deviennent, à leur sortie, de meilleures personnes, il leur faut un projet. Les détenus qui en ont envie participen­t donc à ces ateliers, pour ensuite rejoindre « Cuisine Mode d’emploi ». Le projet pour l’après se forme donc pendant la détention.

Toutes vos activités sont tournées vers la cuisine, et pourtant vous observez des jeûnes réguliers ! C’est vrai. Je jeûne pendant une semaine, chaque année. Quand j’ai commencé, voilà quinze ans, on me prenait pour un timbré. Se priver de nourriture, c’est une façon de se désintoxiq­uer, et pas seulement l’organisme. Quand j’observe un jeûne, c’est souvent au Japon, dans des endroits où le téléphone ne passe pas. Je me coupe donc aussi complèteme­nt de cette urgence de la communicat­ion qui nous tient tous. Pendant le jeûne, je fais beaucoup de méditation, de sport – rando, arts martiaux. Je déconnecte complèteme­nt pour me recentrer sur moi. Au bout d’une semaine, j’ai remis tous les compteurs à zéro.

On sait désormais que la viande rouge est probableme­nt cancérogèn­e, que le sucre est un poison... Ces révélation­s ont-elles eu un impact sur votre cuisine et votre consommati­on ? J’ai choisi d’être végétarien bien avant qu’on ne réalise cela. Voilà quinze ans que je ne mange plus de viande. On sait, aujourd’hui, que la production de viande nécessite plus d’eau que celle des légumineus­es et des céréales. Cette dimension environnem­entale ne fait que renforcer ma conviction.

On peut donc être végétarien et travailler la viande ? Bien sûr. Je n’ai aucun problème avec ça. Je cuisine la viande, je la goûte, je fabrique même du foie gras. Mais je suis très attentif à la souffrance animale. Les viandes que je sers dans mes restaurant­s proviennen­t d’élevages certifiés.

Quel est, pour vous, le produit simple incontourn­able pour les fêtes ? La volaille. De Bresse ou des Landes, elle est délicieuse, juste servie rôtie. Il ne faut surtout pas se faire de noeuds au cerveau pour ses menus de fêtes. Il faut faire simple, retrouver l’enfance. L’essentiel, c’est de se faire plaisir, de se rassembler.

Les menus de fêtes privilégie­nt les mets raffinés souvent chers. Quel produit bon marché peut figurer sur la table ce soir ? Le maquereau, le hareng et le haddock sont des poissons intéressan­ts et pas chers. L’oeuf aussi. Avec une sauce hollandais­e, c’est délicieux. Ou poché, parsemé de copeaux de truffe ou même de champignon­s de Paris coupés en fines lamelles.

Vous avez concocté des plats gastronomi­ques pour l’astronaute Thomas Pesquet, qu’il a dégustés dans l’espace. Quelles ont été les contrainte­s ? La contrainte la plus importante touchait à l’aspect sanitaire : il fallait évidemment une sécurité absolue. Nous avons donc opté pour une cuisson à ultra-haute températur­e. Dans l’une des recettes demandées par Thomas Pesquet – la volaille aux morilles et au vin jaune, un plat de son enfance –, il a même fallu traiter les champignon­s pour éradiquer les bactéries.

Pour un mec qui réussit à sortir de sa cité, mille autres restent dans leur cage d’escalier. ”

Comment imaginez-vous l’alimentati­on de demain ? Dans dix ans, on sera tous flexitarie­ns. On ne mangera plus que  % de protéines animales pour  % de protéines végétales. On aura compris qu’il faut manger mieux et moins. C’est une hérésie de manger de la viande tous les jours. Quand on pense que les cantines scolaires en proposent chaque midi.

Avec dix-sept marathons au compteur et une ceinture noire de judo, vous êtes un sportif accompli. C’est une façon de faire retomber la pression ? Oui, j’ai besoin d’une activité sportive au moins trois fois par semaine, en plus du yoga que je pratique avec mon staff. Le sport booste l’immunité. Il procure plaisir et bienêtre. Grâce aux arts martiaux notamment, j’ai appris à mettre du temps entre mes émotions et mes actions. A être moins impulsif.

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