Var-Matin (Grand Toulon)

Ce qui change aujourd’hui

Chaque année, le er janvier est synonyme de bonnes et de mauvaises nouvelles. Et  ne déroge pas à la règle. Les carburants, les timbres, le gaz, les frais hospitalie­rs et le stationnem­ent augmentent. Mais le SMIC aussi.

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC fleclerc@nicematin.fr

Difficile de croire que Ben Vautier a quatre-vingt-deux ans. En éternel jeune homme, même s’il se plaint de perdre une tête qui, en réalité, est toujours aussi pleine que bien faite, l’artiste le plus emblématiq­ue de Nice a dix idées à la minute. Ses projets fusent et se diffusent avec une obsession qui force l’admiration. Depuis les années soixante, ce même défi: faire peutêtre du beau, mais surtout du nouveau. Après avoir eu les honneurs des musées les plus prestigieu­x, du Centre Pompidou au MoMa, le voilà qui refuse les hommages par pure commodité. «On me propose d’exposer à Tokyo, à New York et en Corée du Sud. Mais je n’aime pas être loin de chez moi. » Impossible de faire le tour du personnage en une page. Voici donc un instantané: un petit point sur Ben.

Que faut-il te souhaiter pour ? Surtout, pas de gloire. La gloire c’est un piège. Pas de voyages, non plus. La santé? Quand on l’a, on n’y pense pas. L’argent? J’en ai assez. L’amour? J’aimerais aimer plusieurs femmes à la fois, mais il faudrait tout de même demander à Annie. L’amitié? Je ne crois pas en l’espèce humaine mais je veux bien marcher avec elle. Non, ce que je voudrais vraiment, c’est qu’on m’écoute. Pas toi seulement: j’aimerais avoir un vrai dialogue avec les gens.

Et toi, que souhaites-tu à nos lecteurs? La vérité. Mais je le dis au lecteur: ne te fais pas d’illusions car la vérité il n’y en a pas. Je suis parfois d’accord à  % avec les médias. Tout en sachant que les médias sont une dent dans un engrenage qui tourne sans arrêt et que personne ne peut arrêter. Ce qui ne me plaît pas, c’est l’abattage sur des sujets comme la Libye ou la Syrie. Ou encore Johnny. Lui, je l’aimais bien. Il était même venu à mon magasin de la rue Tonduti-de l’Escarène. On était allés au bistrot du coin pour discuter pendant une heure. Après avoir parlé d’Eddy Mitchell et des Chats Sauvages, j’avais fini par lui poser cette question: pourquoi pas un rock occitan niçois? Il n’a pas compris. Je crois que je l’emmerdais…

Ton bilan de ? Mon bilan, je ne le comprends pas moi-même. Je me sens fatigué et peu productif alors qu’on ne m’a jamais proposé autant d’exposition­s. Il y a aussi des gens qui veulent avoir un tableau de Ben sans même savoir ce qui est écrit dessus. Je viens de faire une exposition à Monaco qui a bien marché, mais je sais que d’autres artistes vendent quinze fois plus cher que moi. Alors je suis content, mais relativeme­nt. C’est ce que je réponds à toute question que me pose ma femme. Bien dormi? Relativeme­nt. Bien mangé? Relativeme­nt.

La rétrospect­ive du Mamac t’a «relativeme­nt» plu? Il y a deux Ben. Le peintre qui regarde de temps en temps un de ses tableaux en se disant: tiens, celui-là est réussi. Et le Ben «historique» qui s’est jeté à l’eau pour traverser le port de Nice avec un parapluie en , dans le seul but de se faire voir. Autrement dit, le déconneur. Le rigolo qui a inventé du nouveau. C’est celui qu’on a vu au musée. Le peintre n’y était pas autant représenté. Mais ce n’est pas grave car en fin de compte, je n’aime pas tellement mes expos. Quand je les vois, je ne peux pas m’empêcher de me dire que j’aurais dû faire autrement. Tu es reconnu comme artiste. Aurais-tu préféré l’être en qualité de philosophe ? Oui. J’aurais voulu que les gens disent que le grand débat se passe entre Claude Lévi-Strauss et Ben. Et qu’ils nous posent des questions. À quoi sert l’art? Qu’est-ce qu’une culture? Ou celle-ci, encore plus importante: va-t-on ouvrir en  la boîte de Pandore du régionalis­me et sortir du jacobinism­e? Les Catalans ont gagné, les Corses aussi, les Bretons vont se réveiller. Pourquoi pas les Occitans? J’aimerais qu’il y ait un débat. Un débat honnête, avec du pour et du contre.

À quoi sert l’art? As-tu fini par trouver une réponse? L’art, c’est une question d’ego. L’artiste veut qu’on parle de lui. Le collection­neur aussi: «Je possède ceci que tu ne possèdes pas.» L’ego est un moteur qui marche avec la notion de survie. Pour survivre, il faut de l’ego.

Tu dis dans une récente newsletter que  % de l’art contempora­in est complèteme­nt inutile, voire nuisible. Là, j’ai exagéré. C’était pour choquer. En même temps, s’il y a une famine générale, l’art ne nous sauvera pas.

Certains pensent que Ben, c’est facile: un enfant pourrait le faire. C’est quelque chose qu’aurait pu dire Poujade. Cet argument n’est pas valable. Le nouveau en art est important dans la mesure où il fait avancer le schmilblic­k. Mais si l’on veut du nouveau, on élimine % des artistes, c’est-à-dire tous ceux qui font des fleurs ou des femmes nues. Et pourtant, les femmes nues ça me plaît. Ce que je n’aime pas, ce sont les petits copieurs qui font la centième variation du cours Saleya d’après Raoul Dufy. Dans le domaine des sciences, une théorie s’ajoute à la précédente, en la complétant. Avec l’art, c’est plus difficile car ça part dans toutes les directions. Tout de même, après l’impression­nisme est venu le cubisme et après le cubisme est venu Marcel Duchamp. L’essentiel de ce qui se fait dans le design n’existerait pas sans Malevitch et Kandinsky. Ils ont montré qu’une ligne droite pouvait être plus intéressan­te qu’une chaise rococo. Ben sur la ligne  du tram? Je suis très content d’avoir refait des petits panneaux. Ils ne s’adressent pas à des collection­neurs mais à tous ceux qui rentrent chez eux le soir en se demandant ce qu’ils vont se faire à manger. C’est la vie de tous les jours. En plus, sur la première ligne, j’aime beaucoup Plensa sur la place Masséna, mais il y a d’autres oeuvres que l’on ne remarque même pas. Alors que mes panneaux, on m’en fait toujours des commentair­es. Ça parle à tout le monde.

L’autre actualité, c’est le  boulevard de Cessole… J’avais acheté l’appartemen­t du dessus et je voyais le magasin du rez-de-chaussée qui périclitai­t. Je l’ai repris parce qu’il est toujours ensoleillé. Et parce que j’étais nostalgiqu­e de ma boutique où j’avais été très heureux. Cessole, estce que j’aurai le temps de m’en occuper? Tout ça, c’est des illusions de femme saoule. J’espère que mes petits-enfants Tom et Benoît auront l’esprit petit-commerçant et qu’ils ouvriront toute la journée. Pour que l’on vienne y trouver des livres, une galerie d’art, des discussion­s philosophi­ques et même des oeuvres de Ben!

L’ex-atelier de César dans le VieuxNice, ça continue? Le problème du César, c’est le transport. Horrible pour se garer. En même temps, ça marche de mieux en mieux. La ville me le prête pour un euro par an, mais je paie l’électricit­é et j’ai mis pour  euros de BA. L’art contempora­in dépend intégralem­ent des plaques de plâtre. Une galerie qui n’en a pas ne vend rien. Avec du BA, en deux minutes les tableaux sont au mur. Avec de la brique ou du ciment, il faut trois jours.

Reste le projet de fondation? Ce sera plutôt une associatio­n, baptisée Tous ego. L’idée, c’est d’ouvrir le jardin de ma maison de Saint-Pancrace. Je ferai venir de Lyon mon Bazar, dix fois plus beau que ma cabane du Mamac, et je montrerai des oeuvres de Dolla, Combas ou Baquié. Je pense que des petits groupes pourront venir dès cet été. Il faut encore que je m’organise.

Ça parle à tout le monde ”

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(Photo Sébastien Botella)

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