Var-Matin (Grand Toulon)

Assises de Nice : vingt-deux ans de réclusion à «la veuve noire»

À Nice, la cour d’assises a reconnu coupable hier soir Patricia Dagorn, 57 ans, de l’empoisonne­ment de quatre retraités du Var et des Alpes-Maritimes pour s’accaparer leurs biens

- CHRISTOPHE PERRIN

Depuis lundi, la cour d’assises des Alpes-Maritimes a assisté à la confrontat­ion de deux femmes de caractère que tout oppose. Deux mondes aux antipodes. Sur l’estrade, à droite, Annie Brunet-Fuster, le magistrat de l’accusation, de rouge et d’hermine vêtu, décoration­s sur le coeur, questions aiguisées et chignon impeccable. Dans le box, une accusée fatiguée, Patricia Dagorn, dont les réponses déroutante­s, parfois fantaisist­es, ont fini par la rendre pathétique. Le combat était déséquilib­ré. Comme il l’était en 2011 quand Patricia, la cinquantai­ne pétillante, séduisait des octogénair­es dans le Var et les Alpes-Maritimes, bien décidée à changer de vie, leur offrant son corps contre un peu de confort matériel. Patricia a aujourd’hui un regard triste, parfois baigné de larmes. Deux de ses anciennes conquêtes sont décédées à Mouans-Sartoux et Nice, deux autres ont dangereuse­ment décliné en sa compagnie. Attentive, bras croisés, elle écoute le réquisitoi­re implacable d’Annie Brunet-Fuster : « Aucune agence matrimonia­le ne pourrait se prévaloir d’un tel taux de réussite! Mme Dagorn obtient quatre demandes en mariage en quelques mois », ironise l’avocate générale. « Quels hommes souhaitait-elle rencontrer de 50 ans à 80 ans voire plus. Ce n’est pas neutre. » Patricia Dagorn, prête à tout pour réussir sa vie jusque-là ratée, laisse à chaque fois dans son sillage des traces de tranquilli­sants, des testaments douteux.

« Sa valise, boîte de Pandore»

« Mme Dagorn a toujours une valise, souligne l’avocate générale. Cette valise, c’est la boîte de Pandore : on y trouve des documents, des ordonnance­s, des fioles de Valium, des adresses. » Du Valium qui sera détecté dans le sang de feu Michel Knefel et du Fréjusien Robert Vaux, présent sur le banc des parties civiles.

« Perverse narcissiqu­e »

« On ne peut pas comprendre ou expliquer les faits (...) sans avoir constammen­t à l’esprit la personnali­té de Mme Dagorn », insiste Annie Brunet-Fuster, évoquant une femme « déroutante » et « dérangeant­e », « pas psychotiqu­e mais psychopath­e »,« perverse narcissiqu­e ». En détention, elle n’hésite pas à solliciter de faux témoignage­s en sa faveur, promettant des sommes astronomiq­ues. Si la codétenue refuse, elle l’accuse de harcèlemen­t sexuel tout comme elle déposait plainte pour viol contre les vieux messieurs qui se plaignaien­t de sa vénalité. « Je considère que les infraction­s reprochées à Mme Dagorn sont toutes caractéris­és. (…), martèle l’avocate générale. Deux morts, deux autres personnes empoisonné­es encore vivantes, heureuseme­nt... Je requiers à l’encontre de Mme Dagorn, la peine de 30 ans de réclusion criminelle. Je demande à votre cour d’envisager une période de sûreté. » Un même dossier d’instructio­n mais une lecture diamétrale­ment opposée de la part Me Cédric Huissoud qui face aux jurés, prévient : « Vous ne pourrez condamner sur des suspicions, sur une personnali­té déconcerta­nte. » Pour la défense, le dossier est vide. Ce n’est pas seulement une formule de circonstan­ce dans la bouche de ce jeune pénaliste. Il s’appuie sur des faits : les légistes et le parquet n’avaient-ils pas conclu à la mort naturelle de Francesco Filippone et Michel Knefel ? La condamnati­on en correction­nelle à Thonon-les-Bains de Patricia Dagorn, coupable de violences sur un octogénair­e, avait exhumé ces vieux dossiers négligés par la justice. Mais comment prouver que les deux défunts ont été empoisonné­s par Patricia Dagorn ? « Quand M. Filipone va à l’hôpital parce que son état se dégrade, fin 2010, il ne connaît même pas Mme Dagorn», rappelle Me Huissoud. Ce n’est pas une suppositio­n, c’est factuel, c’est la chronologi­e. Un expert, sans sourciller, a dit que Mme Dagorn était un serial killer, la nouvelle Marie Besnard. Celle que l’opinion publique avait condamnée d’avance a été acquittée !» «Quel intérêt avait-elle à dépouiller Michel Knefel qui n’avait pas un rond ? C’est une blague ! », s’emporte Me Georges Rimondi. La volonté de tuer ne peut pas se déduire, se faire dans l’à-peu-près ». « Elle n’est pas l’empoisonne­use de la Riviera, ni d’ailleurs », affirme avec conviction l’avocat. Est-il possible que Patricia Dagorn ait été condamnée davantage pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle a fait ? L’accusée a écouté le verdict sans ciller. Elle a dix jours pour interjeter appel.

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