Assises de Nice : vingt-deux ans de réclusion à «la veuve noire»
À Nice, la cour d’assises a reconnu coupable hier soir Patricia Dagorn, 57 ans, de l’empoisonnement de quatre retraités du Var et des Alpes-Maritimes pour s’accaparer leurs biens
Depuis lundi, la cour d’assises des Alpes-Maritimes a assisté à la confrontation de deux femmes de caractère que tout oppose. Deux mondes aux antipodes. Sur l’estrade, à droite, Annie Brunet-Fuster, le magistrat de l’accusation, de rouge et d’hermine vêtu, décorations sur le coeur, questions aiguisées et chignon impeccable. Dans le box, une accusée fatiguée, Patricia Dagorn, dont les réponses déroutantes, parfois fantaisistes, ont fini par la rendre pathétique. Le combat était déséquilibré. Comme il l’était en 2011 quand Patricia, la cinquantaine pétillante, séduisait des octogénaires dans le Var et les Alpes-Maritimes, bien décidée à changer de vie, leur offrant son corps contre un peu de confort matériel. Patricia a aujourd’hui un regard triste, parfois baigné de larmes. Deux de ses anciennes conquêtes sont décédées à Mouans-Sartoux et Nice, deux autres ont dangereusement décliné en sa compagnie. Attentive, bras croisés, elle écoute le réquisitoire implacable d’Annie Brunet-Fuster : « Aucune agence matrimoniale ne pourrait se prévaloir d’un tel taux de réussite! Mme Dagorn obtient quatre demandes en mariage en quelques mois », ironise l’avocate générale. « Quels hommes souhaitait-elle rencontrer de 50 ans à 80 ans voire plus. Ce n’est pas neutre. » Patricia Dagorn, prête à tout pour réussir sa vie jusque-là ratée, laisse à chaque fois dans son sillage des traces de tranquillisants, des testaments douteux.
« Sa valise, boîte de Pandore»
« Mme Dagorn a toujours une valise, souligne l’avocate générale. Cette valise, c’est la boîte de Pandore : on y trouve des documents, des ordonnances, des fioles de Valium, des adresses. » Du Valium qui sera détecté dans le sang de feu Michel Knefel et du Fréjusien Robert Vaux, présent sur le banc des parties civiles.
« Perverse narcissique »
« On ne peut pas comprendre ou expliquer les faits (...) sans avoir constamment à l’esprit la personnalité de Mme Dagorn », insiste Annie Brunet-Fuster, évoquant une femme « déroutante » et « dérangeante », « pas psychotique mais psychopathe »,« perverse narcissique ». En détention, elle n’hésite pas à solliciter de faux témoignages en sa faveur, promettant des sommes astronomiques. Si la codétenue refuse, elle l’accuse de harcèlement sexuel tout comme elle déposait plainte pour viol contre les vieux messieurs qui se plaignaient de sa vénalité. « Je considère que les infractions reprochées à Mme Dagorn sont toutes caractérisés. (…), martèle l’avocate générale. Deux morts, deux autres personnes empoisonnées encore vivantes, heureusement... Je requiers à l’encontre de Mme Dagorn, la peine de 30 ans de réclusion criminelle. Je demande à votre cour d’envisager une période de sûreté. » Un même dossier d’instruction mais une lecture diamétralement opposée de la part Me Cédric Huissoud qui face aux jurés, prévient : « Vous ne pourrez condamner sur des suspicions, sur une personnalité déconcertante. » Pour la défense, le dossier est vide. Ce n’est pas seulement une formule de circonstance dans la bouche de ce jeune pénaliste. Il s’appuie sur des faits : les légistes et le parquet n’avaient-ils pas conclu à la mort naturelle de Francesco Filippone et Michel Knefel ? La condamnation en correctionnelle à Thonon-les-Bains de Patricia Dagorn, coupable de violences sur un octogénaire, avait exhumé ces vieux dossiers négligés par la justice. Mais comment prouver que les deux défunts ont été empoisonnés par Patricia Dagorn ? « Quand M. Filipone va à l’hôpital parce que son état se dégrade, fin 2010, il ne connaît même pas Mme Dagorn», rappelle Me Huissoud. Ce n’est pas une supposition, c’est factuel, c’est la chronologie. Un expert, sans sourciller, a dit que Mme Dagorn était un serial killer, la nouvelle Marie Besnard. Celle que l’opinion publique avait condamnée d’avance a été acquittée !» «Quel intérêt avait-elle à dépouiller Michel Knefel qui n’avait pas un rond ? C’est une blague ! », s’emporte Me Georges Rimondi. La volonté de tuer ne peut pas se déduire, se faire dans l’à-peu-près ». « Elle n’est pas l’empoisonneuse de la Riviera, ni d’ailleurs », affirme avec conviction l’avocat. Est-il possible que Patricia Dagorn ait été condamnée davantage pour ce qu’elle est que pour ce qu’elle a fait ? L’accusée a écouté le verdict sans ciller. Elle a dix jours pour interjeter appel.