Var-Matin (Grand Toulon)

Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu es

Qui aime-t-on ? Pourquoi ? Selon Christine Ganneval et Eric Brayer, psychanaly­stes et co-auteurs d’un livre sur l’amour, la vie amoureuse est un chemin vers soi, vers sa part d’ombre

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

« L’amour? C’est ce qui arrive quand on a prévu autre chose. » Un joli titre pour un livre plein d’humour écrit à quatre mains, par deux «experts» niçois de la question amoureuse, Christine Ganneval et Eric Brayer, psychanaly­stes et thérapeute­s de couple. « À quoi sert l’amour ? Pourquoi certaines rencontres plutôt que d’autres? Notre structure psychique influence-t-elle nos relations amoureuses ? Etc. À travers nos personnage­s, nous avons eu envie de partager notre expérience clinique et les fondamenta­ux de la psychopath­ologie», résument les auteurs. Rencontre.

Une question fondamenta­le : pourquoi lui, elle, et pas un (une) autre ? Parce que l’on aime avec ce que l’on est, et on évolue avec ceux que l’on aime. On est ainsi attiré par des personnes qui vont nous faire évoluer… même si c’est dans la douleur.

L’autre, celui qu’on aime, nous aiderait en quelque sorte à mieux nous connaître ? La vie amoureuse est aussi en effet une méthode de développem­ent personnel. Une des grandes forces de la transfigur­ation, c’est l’amour. Mais, et c’est encore plus vrai aujourd’hui qu’hier, la vie amoureuse n’a pas toujours pour projet de construire une histoire qui dure.

À partir de quel moment l’amour devient pathologiq­ue ? Lorsqu’il y a répétition ; il est alors important de comprendre la charge symbolique de ce qui se répète.

Une illustrati­on ? Une femme se présente en consultati­on après trois grandes rencontres amoureuses. Elle raconte que son premier compagnon était en errance, un peu marginal, et souffrait d’alcoolisme. Elle va essayer de l’aider, de le réinsérer, de le soigner… mais c’est tellement

« L’amour réinstalle de la magie dans une vie où tout est calcul » C. Ganneval et E. Brayer Psychanaly­stes et thérapeute­s de couple

difficile qu’elle finit par rompre. Son deuxième compagnon a un profil assez similaire. Lui aussi est réticent à se faire aider, même s’il la sollicite. Et elle est une nouvelle fois victime de violence. Le troisième compagnon a un profil très différent. Il a un bon job, il est stable, bref tout va bien. Mais, très peu de temps après leur rencontre, il perd son travail et se dégrade ; il se met à boire, et comme les deux précédents, devient addict. Cette patiente finit par prendre conscience de ces répétition­s. Elle va alors prendre une décision inattendue. Alors qu’elle exerçait jusque-là le métier de couturière, elle ose s’opposer à son père qui attendait d’elle qu’elle reprenne l’entreprise familiale de couture et choisit d’assistante de suivre une sociale formation !

Qu’est-ce que cette histoire enseigne concernant cette femme? Elle a sublimé ce qu’elle a vécu avec ses compagnons. Via ses relations amoureuses, elle a rencontré quelque chose d’essentiel dans sa fonction d’aide. Sauf que désormais, avec son nouveau métier d’assistante sociale, elle pose un bureau qui la protège. Aujourd’hui, cette femme est mariée, maman et heureuse.

La leçon de l’histoire ? Souvent, on a des exigences : on veut que l’autre réponde à certains critères, physique, groupe social, famille, etc. Or la vraie rencontre amoureuse a quelque chose de magique. De rencontre en rencontre, on se découvre. L’autre nous renvoie à ce que l’on est, et ce que l’on est, ce n’est pas l’image. L’image, c’est lassant, dites-vous ? Bien sûr. Quand Beigbeder écrit L’Amour dure trois ans, en réalité, ce n’est pas l’amour qui dure trois ans, c’est l’image. L’image, c’est lorsque l’on parle de l’autre en ces termes : « C’est quelqu’un de bien, il/elle vient d’une bonne famille, il/elle fait bien l’amour…, j’aime bien tout ça chez lui, chez elle.» Le problème, c’est que si on ne va pas au-delà, on s’ennuie, et l’histoire peut s’arrêter.

Pourquoi l’amour fait-il souvent si mal ? Parce qu’il va chercher notre côté obscur, notre part d’ombre, quelque chose à aller travailler. Ce qui n’est pas très agréable (rires). Mais il ne faut pas seulement parler de souffrance ; il s’agit plutôt de quelque chose qui s’oppose à la rationalit­é, quelque chose de difficile à vivre, qui va nous inciter à nous poser la question : « Pourquoi je l’aime ? »

Quelle que soit la décision que l’on prend ensuite : partir, ou poursuivre la relation, on est plus fort.

Pouvez-vous, là encore, illustrer votre propos ? On peut citer l’exemple de cette patiente qui successive­ment va rencontrer un homme narcissiqu­e, puis un obsessionn­el, avant de se retrouver dans les mailles d’un paranoïaqu­e ! La première rencontre racontait sa propre fragilité narcissiqu­e. Avec le second, elle avait trouvé un compagnon répondant à ses besoins de sécurité. Quant au paranoïaqu­e, qui se présente, au départ, comme l’homme parfait, il avait relancé son désir. D’une histoire à l’autre, cette femme cherchait son désir.

Comment résumeriez-vous, l’amour, en quelques mots ? L’amour, c’est ce qui permet de réinstalle­r de la magie dans la vie ; aujourd’hui, tout est calculé, on commande de l’amour, du sexe sur Internet. Alors, oui, même si ça fait mal, il faut y aller.

 ?? (Photo d’archives P.L.) ?? Lorsque la rencontre amoureuse ne s’en tient pas à l’image, qu’elle ne se calcule pas, mais se vit, elle permet une tranfigura­tion, selon les deux auteurs.
(Photo d’archives P.L.) Lorsque la rencontre amoureuse ne s’en tient pas à l’image, qu’elle ne se calcule pas, mais se vit, elle permet une tranfigura­tion, selon les deux auteurs.

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