Eva Darlan, le féminisme chevillé au corps
La comédienne présidait hier le jury du festival du court-métrage de Fréjus. L’occasion pour l’ancienne «Jeanne» de rappeler que le combat pour les droits des femmes est loin d’être terminé
Macron en impose. Mais son libéralisme me rend très triste”
La détermination pointe derrière le regard vert et franc d’Eva Darlan. La comédienne était hier à Fréjus pour présider le jury du festival du court-métrage. En plein débat suite à l’affaire Weinstein, cette femme de convictions, militante féministe de la première heure, a joué le jeu des questions réponses.
Vous aviez créé le comité de soutien de Jacqueline Sauvage, condamnée pour avoir tué son mari violent, et obtenu sa grâce. Comment va-t-elle? On s’est levé face à une injustice. On a gagné. Ça fait un an et c’était bien. Elle va mieux. Elle ne veut plus vendre sa maison. Je l’ai revue une fois, elle est sereine.
Vous avez aussi eu une enfance douloureuse, connu des souffrances. La comédienne est-elle venue au secours de la femme? Sûrement oui. Ça a sauvé l’enfant perdue que j’étais et l’inadaptation qui aurait été la mienne si je n’avais pas fait ce métier. J’adore les acteurs, ce sont des gens qui ont une seconde vue sur le monde. L’univers des artistes est merveilleux.
Depuis l’affaire Weinstein, le débat fait rage. Tout a commencé avec la loi Neuwirth qui en a autorisé la contraception orale. Avec la pilule, on a eu la maîtrise de notre fécondité et de nos vies. Avec aussi le droit de travailler et d’avoir un compte bancaire sans demander l’autorisation de son mari, on n’était plus des poules pondeuses et on n’était plus soumise au diktat de l’homme. À partir de là, on a des opinions et on peut les dire. Les choses se sont enchaînées.
Comment se fait-il que la libération de la parole des femmes suscite tant de passion ? Le monde est patriarcal depuis la préhistoire. La société ne peut changer du jour au lendemain, les hommes ayant en mains la politique, l’économie, la religion. Ce n’est pas une démocratie mais une phallocratie. Je parle du patriarcat en général, pas des individus hommes. Ils n’accepteraient pas le quart de la moitié de ce qu’on subit. Là, on a l’impression d’une cocotteminute qui explose. Ça fait du bruit mais ça va déboucher sur quoi ? Il faut des lois, des moyens. Dans votre milieu, les rôles pour les femmes sont moins nombreux que pour les hommes… À - ans, on est vue en tant qu’objet de désir, puis épouse, puis mère. On travaille. Vers la cinquantaine, on n’a plus de rôle, on ne travaille plus car on n’est plus reproductrice. À ans, les rôles reviennent, en grand-mère. Je ne fais que ça, et je n’en peux plus ! Un mouvement s’est créé, le Tunnel, qui se bat contre cela. Il faut des lois, des quotas. Tant pis. La parité on n’y arrivera peutêtre pas mais il faut se battre.
Que dites-vous aux jeunes filles ? Battez-vous, soyez vigilantes, osez, allez-y, foncez, sans vous préoccuper du jugement des autres.
Une autre cause vous tient à coeur, le droit de mourir dans la dignité. La loi Leonetti a été votée par des gens frileux, elle ne va pas assez loin. On devrait avoir le droit de partir quand on veut. Je ne sais pas comment je réagirai, mais je veux avoir cette possibilité, c’est le respect de la personne. Jean-Luc Romero est un homme admirable qui se bat pour cela et pour les droits des homosexuels. Je soutiens aussi l’association le Refuge qui accueille les jeunes victimes d’homophobie. Pilule, avortement, droit à la différence… Il faut se battre. Toutes les avancées sont fragiles.
Vous avez soutenu Jean-luc Mélenchon. Que pensez-vous d’Emmanuel Macron ? Il est extraordinairement atypique, brillant. Son couple est hyper glamour. Sa politique étrangère est formidable. Il est droit dans ses bottes. Il en impose et il m’en impose. Mais son libéralisme me rend très triste pour les gens qui restent au bord de la route. Ça va dégommer grave dans toutes les entreprises ! Il tacle les pauvres à chaque fois, comme si on était en bas de l’échelle par choix.
Que pensez-vous des dernières déclarations de la ministre de la Culture demandant au monde culturel d’agir en faveur des réfugiés ? Oui, surtout si on les accueille ! Mais il faut être cohérent. On peut les inviter au théâtre, mais on ne déchire plus leurs tentes, on n’arrache plus leurs couvertures, on les intègre, on leur donne la possibilité d’être agriculteur ou médecin. C’est une honte la façon dont on les traite. C’est indigne.
Le monde est patriarcal ”
N’êtes-vous pas gênée de venir soutenir un festival dans une ville dirigée par le Front national ? Si. Il y a vingt, quand ce festival a été créé, c’était la droite. Moi, le Front national j’ai pris des positions publiques très claires. Et je n’ai pas envie de venir. Mais si je ne viens pas qui le fera ? Qui viendra dire qu’il y a autre chose que la fuite? On ne peut pas laisser de côté tous ceux qui ne sont pas Front national dans cette région. Le but de cette manifestation est de faire vivre ce petit créneau du court-métrage. C’est très important d’être là.