Chibois : « Il était mon parrain de cuisinier »
Le chef étoilé de La Bastide SaintAntoine, à Grasse, se remémore, non sans émotion, « celui qui a sorti les cuisiniers de leur cuisine » et qui l’a parrainé pour son entrée au sein de l’association « Les Grandes Tables du monde. » « Une vraie reconnaissance », affirme Jacques Chibois.
Que représente pour vous Paul Bocuse ? Paul Bocuse, pour nous, c’est énorme ! C’est l’image du cuisinier dans tout son art. Mais aussi la grandeur de la personne qui a sorti les cuisiniers de leur cuisine. Qui les a fait reconnaître internationalement. C’est lui qui a commencé à médiatiser l’art culinaire et les cuisiniers. Il a entraîné toute une génération derrière lui. L’une de ses devises était : « L’importance du savoir-faire et du faire savoir. »
Connaissiez-vous personnellement Paul Bocuse ? Il était mon parrain de cuisinier. C’est lui qui m’a fait entrer à l’association « Les grandes tables du monde ». Paul Bocuse a été mon parrain avec Paul Haeberlin [l’Auberge de l’Ill d’Illhaeusern en Alsace, ndlr] et Michel Guérard, chef des Prés d’Eugénie [A Eugénie-les-Bains dans les Landes, ndlr], qui a été mon maître d’apprentissage. Avez-vous travaillé à ses côtés ? J’ai travaillé à ses côtés à la confection du repas des chefs voulu en son honneur par Valéry Giscard d’Estaing. C’était pour la remise de la Légion d’honneur. La première donnée à un chef. J’étais un petit jeune à l’époque, j’avais ans, et j’étais chez Guérard. Chaque chef devait faire un plat. Bocuse avait préparé sa soupe de truffe noire VGE, pour Valérie Giscard d’Estaing : un bouillon avec de la truffe noire, des quenelles de Lyon et de la volaille. C’était, je crois, en [en , ndlr]). Il y avait là les Troisgros, Roger Vergé, Michel Guérard, Jean Delaveyne et je crois Gaston Lenôtre… Bref, les amis de Bocuse. Nous sommes les enfants de cette génération. Que diriez-vous de l’homme ? C’était un rassembleur. Sa vie, c’était sa passion : la cuisine et surtout il aimait les cuisiniers. Il voulait les faire briller autant que les autres arts. Il était aussi très attaché à la transmission.
A-t-il mangé à l’une de vos tables ? À La Bastide Saint-Antoine à Grasse ? Au Gray d’Albion, à Cannes, où j’ai travaillé quand j’étais jeune. Il a mangé plusieurs fois à La Bastide .Je me souviens notamment d’une fois. C’était à l’occasion d’un concours du Meilleur ouvrier de France à Nice en . Et Paul Bocuse a dit à tout le monde : «Ce soir tout le monde à La Bastide ! » On avait fait une table de personnes. Il y avait Robuchon, les Troisgros… toute la grande clique des copains de Paul. Quand on tient une reconnaissance pareille de ses maîtres, c’est important. Quand ils sont tous là à votre table, on a un vrai stress pour ne pas les décevoir. Et puis on a l’envie de leur faire plaisir. Et vous allez faire une cuisine et des plats qu’ils n’ont jamais goûté et qui montrent votre personnalité. En partant, ils m’ont dit, et Paul Bocuse parmi eux, qu’ils garderaient le souvenir de ma table. J’étais très heureux et fier de cette reconnaissance de nos maîtres.