Var-Matin (Grand Toulon)

Ida Rubinstein : la « dame de Vence » à qui Ravel a dédié son Boléro

- ANDRÉ PEYREGNE

Qui ne connaît le Boléro de Ravel ? C’est l’oeuvre orchestral­e la plus jouée au monde. Elle sera interprété­e dimanche prochain par l’Orchestre régional de Cannes, sous la direction de Benjamin Lévy avec – pour accroître l’importance de l’événement - la participat­ion de jeunes lauréats des conservato­ires de toute la région qui seront intégrés au sein même de l’orchestre. On sait tout sur cette oeuvre légendaire. Tout... sauf que la femme à qui Ravel l’a dédiée a vécu les dernières années de sa vie à Vence, où elle est morte et enterrée.Cette femme est l’illustre danseuse et mécène des Ballets Russes, Ida Rubinstein. Au début des années 1950, après avoir achevé sa glorieuse carrière, et avoir été l’épouse du célèbre fabriquant de bières Walter Guinness, assassiné en 1944, elle se retira à Vence - en cette cité où, en 1905, la créatrice de l’opéra Carmen, Célestine Galli-Marié, était venue elle aussi mourir dans l’anonymat. À part que pour Célestine GalliMarié, ce fut dans la misère et pour Ida Rubinstein dans l’opulence des richesses laissées par son mari. A Vence, elle vécut dans la villa des « Olivades », au quartier de Fonzeri, au dessus de la ville, là où on se sent à la campagne, où coule la Lubiane, où les oiseaux chantent, où la route s’envole vers le col de Vence. De sa terrasse, elle avait une vue sur la mer jusqu’au Cap d’Antibes.

Modeste tombe

Elle vécut là une vie discrète. Son port altier, le mystère qui émanait de sa personne suggéraien­t à ceux qui la voyaient qu’elle avait été une grande dame - la « dame de Vence », comme disaient certains, faute de connaître son identité. Là, ainsi que l’a raconté Dominique Gardan dans une publicatio­n (Vence durant le XXe siècle), deux personnes veillaient sur elle, prénommées Gracieuse et Anna. Ida Rubinstein est morte le 20 septembre 1960 à Vence. Elle est enterrée au bas du cimetière municipal sous une dalle infiniment modeste, aujourd’hui fendue, qui ne porte pas sa date de naissance - car, coquette, elle n’avait jamais voulu la révéler ! En passant devant cette humble dalle, personne n’imaginerai­t que repose ici l’une des danseuses mythiques du XXe siècle. Sur la tombe, se trouve simplement une plaque des « Anciens du groupe Alsace » unité de combat aérien qui fut notamment active en Méditerran­ée pendant la Deuxième Guerre mondiale - rappelant qu’elle fut leur marraine. Mais aucune allusion à sa vie d’artiste. Née à Karkhov, Ida Rubinstein est devenue la coqueluche du Tout Paris dès l’arrivée des Ballets Russes dans la capitale française au début du XXe siècle. Dans Cléopâtre, apparaissa­nt nue sous ses voiles, sur la scène du Châtelet, elle met le public en transes. Ses étreintes avec Nijinsky dans Shéhérazad­e sont ce que l’écrivain Marcel Proust prétend « avoir connu de plus beau » ! Mais lorsqu’elle, la femme juive, interprète le personnage du saint dans Le Martyr de saint Sébastien, écrit et composé pour elle par d’Annunzio et Debussy, cela fait scandale.

Elle danse à l’opéra de Monte-Carlo

Son plus grand titre de gloire demeure, bien sûr, la commande qu’elle fit à Ravel de son Boléro ,en 1927. Elle voulait que ce soit un ballet évocateur de l’Espagne. Elle en fit la création en dansant, quasi hystérique, sur une table dressée au milieu de la scène de l’Opéra de Paris. Le succès fut mondial. Deux mois après, c’est à l’opéra de Monte-Carlo qu’elle dansait à nouveau cette oeuvre. Qu’ils semblent loin les battements obsessionn­els du tambour du Boléro de Ravel, lorsqu’on se trouve dans le silence des tombes et des cyprès du cimetière de Vence. Les ovations se sont tues. Seul demeure le silence de l’éternité.

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(Photos DR) Ida Rubinstein était devenue la coqueluche du Tout Paris dès l’arrivée des Ballets Russes au début du XXe siècle.
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Elle est enterrée au bas du cimetière municipal de Vence, sous une dalle infiniment modeste.
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Comme dans Salomé, ses apparition­s faisaient sensation.

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