Var-Matin (Grand Toulon)

Philippe Manoeuvre: «Johnny, c’est colossal»

En dédicace à la Fnac de Nice, ce jeune papy du rock venait présenter Collector, anthologie secrète de 111 disques injustemen­t oubliés. L’occasion pour «Philman» d’évoquer notre Johnny national…

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCK LECLERC

Papy, peut-être, mais aussi jeune papa d’une petite Lily Rock de onze mois. Entre deux petits pots, Philippe Manoeuvre, 63 ans, s’est replongé dans sa Discothèqu­e secrète pour publier aux éditions Hugo Desinge une anthologie de ses «collectors». Tout en rejoignant les Grosses Têtes après avoir pris sa retraite de Rock & Folk et tourné le dos à Nouvelle Star. Qu’il ne regarde même plus: «Ces émissions appartienn­ent au passé.»

Cette Discothèqu­e secrète, c’est la revanche des oubliés du rock ? Pour moi, le vrai titre du livre, c’est Collector. Le mot magique qui excusait nos achats compulsifs quand notre compagne nous reprochait d’avoir rapporté le e album de David Bowie. J’ai soixante-trois ans et voilà qu’un éditeur me propose de publier un livre sur les disques de rock que personne ne connaît. Formidable ! Des petits chefs-d’oeuvre passés à «ça» de la gloire et qui, dans les bacs à soldes, ne parlent à personne.

Vous faites donc oeuvre utile ? C’est d’autant plus intéressan­t que, pour la première fois dans l’histoire du rock, le volume des rééditions a supplanté celui des nouveautés. Les gens sont fascinés par cette époque de créativité. Clairement, entre  et , il y a eu un âge d’or du rock dans lequel je me suis amusé à « pignocher » des références qui me semblaient importante­s. À force de réduire le rock à la vingtaine d’artistes que l’on ressort tous les ans – les Who, Led Zeppelin, les Pink Floyd… –, à un moment, tu dis : “Eh ! le Grateful Dead, vous vous souvenez? Et Rory Gallager? Elliott Murphy? Be Bop Deluxe?” Alors voilà, j’ai essayé de retrouver les bonnes adresses du passé. Grâce à des sites comme YouTube ou Discogs, aujourd’hui, on est à un clic de tout.

Vous reproche-t-on encore d’en rapporter, des collectors? Non, totalement non. Mais pendant vingt ans à Rock & Folk, j’en ai reçu dix par jour. Quand j’ai déménagé, le transporte­ur m’a demandé: « Vous ne seriez pas un peu collection­neur?» J’ai demandé pourquoi, il m’a répondu : «Parce que là, vos disques, il y en a quatre tonnes ! »

Avec Johnny, une page du rock hexagonal s’est tournée… Je devais venir à Nice le jour de sa disparitio­n. Quand je me suis réveillé ce matin-là, à  h , j’avais déjà  demandes d’interviews sur mon téléphone. Je suis parti chez BFM, je n’en suis pas ressorti pendant deux jours. On était tous sous le choc. Johnny était un chanteur historique­ment important, qui fascinait les foules. Rendez-vous compte qu’à lui tout seul, il a représenté pendant cinquante ans  % du marché du disque en France. Incroyable! On parle quand même d’une centaine de millions d’albums. C’est presque autant que David Bowie, mais sur un tout petit pays. Alors oui, Johnny, c’est colossal.

Vous aussi, il vous fascinait ? Ah oui ! On se respectait, on s’entendait très bien. Je me souviens de ce jour de  où le téléphone sonne à l’heure du déjeuner: «Allô, c’est Johnny… » (en imitant sa voix) Quoi! Johnny? C’est lui qui avait décidé de m’appeler, on a fait une grande interview pour Les Enfants du rock. Et il y a quatre ans, quand il a fait sa tournée américaine, la première de sa vie, je suis parti avec lui. Johnny à Los Angeles, Johnny à Washington, Johnny à Boston, Johnny à New York… Ça semblait un rêve fou mais toutes les salles étaient pleines. Je l’entends encore me dire : « T’as vu, Johnny Hallyday à Dallas, Texas… ça a de la gueule, non ? »

Comment analysez-vous son lien si fort avec le public ? Johnny, je pense qu’il faisait du bien aux gens. Un enfant de la balle choisi par le public et devenu une vraie star. C’est quand même lui qui a amené le rock en France. Premier disque en , la semaine où Godard sort son premier film. D’un côté, T’aimer follement, de l’autre À bout de souffle. J’ai toujours dit que si Johnny Hallyday n’avait pas allumé la mèche, on aurait peut-être fait Les Enfants de l’accordéon car c’était ça, l’instrument populaire de l’époque! Grâce à lui, on a fait un virage à °. Les années soixante pouvaient commencer. Et puis, un beau gosse, un chef de bande qu’on avait envie de suivre.

Vous parveniez à le suivre ? Non, non. Non! Des gens comme Johnny Hallyday ou Joey Starr, on pourrait y laisser notre peau. Je dis toujours qu’une semaine de Joey Starr, c’est un an de Philippe Manoeuvre. Je viens de faire avec lui le tome II de sa biographie. Intéressan­t, de voir ce qu’il se passe quand on est le chef des «bad boys» et qu’on a trois enfants. Qu’est-ce qu’on fait, là, entre les biberons à donner, la crèche, la nounou? Ça change un peu le paramètre, c’est plus du tout «Nique ta mère»!

Vous faites le malin, mais vous aussi vous avez trois enfants… L’autre soir, j’arrive à l’Olympia, un copain me demande: «Philippe, c’est quoi ton secret pour être aussi en forme? Il est où, ton club de sport ? » Eh bien non, je ne vais nulle part. Par contre, des enfants très jeunes, c’est des balles qui partent et il faut être au niveau pour cavaler derrière.

On était tous sous le choc ” L’ascenseur du rock est cassé ”

En même temps, quand les mecs de soixante piges se mettent avec des gonzesses de trente ans, on se doute que ça finira bien par arriver.

Vrai que vous avez bonne mine ! Mais oui. Il faut dire que je ne bois plus rien depuis . J’étais alcoolique au dernier degré. Dans ce milieu, la tentation est grande. Rédacteur en chef d’un journal de rock, si vous avez du whisky sur votre bureau, personne ne vous dit que c’est scandaleux. Jusqu’au jour où vous vous rendez compte que vous êtes arrivé à une bouteille par jour. Un copain a fini par me dire : «Tu n’es ni Slash, ni Lemmy de Motorhead. Philippe, arrête. Reprends-toi ou tu vas y rester. » Il avait raison, je ne regrette pas de l’avoir écouté.

En conclusion, un mot sur l’état du rock aujourd’hui ? Des artistes comme Mick Jagger, Paul McCartney ou Iggy Pop ont traversé l’histoire. Mais s’il y a constammen­t des nouveautés dans le hip-hop, l’ascenseur du rock est cassé. Quand j’ai commencé, on découvrait un groupe au Gibus et on le retrouvait dans un stade. Aujourd’hui, on a beau s’échiner à multiplier les couverture­s, on ne parvient plus à popularise­r les groupes. Nous, les baby boomers, on était nombreux à bomber le torse, en plus on avait le culte des objets. Les jeunes génération­s ont plutôt celui du téléphone et des réseaux sociaux. En même temps, quand j’ai fêté les  ans de Rock & Folk, je savais bien que je ne serais pas là pour le centenaire. À moins que la médecine ne fasse des progrès déments !

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(Photo Cyril Dodergny)

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