Un chef toulonnais raconte son année avec Bocuse
Alors que les obsèques de Paul Bocuse se déroulent demain à Lyon, Maxence Baruffaldi, ancien élève du lycée hôtelier, raconte son expérience aux côtés du maître
Quelques jours après l’annonce du décès de Paul Bocuse, Maxence Baruffaldi a encore la voix chargée d’émotion, au moment d’évoquer son mentor. Le chef toulonnais, au parcours aussi atypique que fulgurant, officie aujourd’hui dans les cuisines du Crillon, luxueux hôtel qui a rouvert ses portes l’an dernier, place de la Concorde à Paris. Une ascension exceptionnelle qui doit beaucoup à son passage dans le restaurant du « pape de la gastronomie ». Une expérience formidable sur le plan professionnel. Toutefois, c’est surtout la rencontre avec l’homme, qui l’a marqué. Il partage avec nous ses souvenirs.
Comment en êtes vous venu à travailler aux côtés de Paul Bocuse ? En 2014, j’étais employé comme commis au Petit Nice, à Marseille. Un jour – je me souviens que c’était un mardi, vers 10 heures – je reçois un coup de téléphone. Au bout du fil c’est Christophe Muller, chef exécutif de l’Auberge du Pont, le restaurant de Paul Bocuse, qui me propose un emploi. J’étais engagé à Marseille, mais Gérald Passedat (chef 3 étoiles du Petit Nice, Ndlr) m’a permis de partir sans préavis, en me disant “Pour Bocuse, il n’y a pas de problème”. Une semaine plus tard, je débarquais à Collongesau-Mont d’Or. Avec pas mal de pression ? Il y avait énormément d’émotion pour moi d’entrer dans ce lieu emblématique, reconnu dans le monde entier. J’arrive un lundi, je me présente. On me dit : “Monsieur Paul veut s’entretenir avec toi”. J’arrive dans la pièce, j’étais totalement intimidé, je n’osais pas m’asseoir. Il a commencé à me parler. Simplement. Il a pris du temps pour savoir qui j’étais, connaître mes origines, mon parcours... Je n’étais que demi chef de partie, mais avec Monsieur Paul, c’était comme ça. Il connaissait le prénom de tout le monde, était attentif à tous. Lui qui était vénéré partout, et qui n’avait rien à prouver était pourtant attentif, présent pour l’ensemble de sa brigade.
Comment était-il au quotidien ? D’une disponibilité et d’une simplicité incroyables. Il mangeait avec nous, discutait avec tout le monde. Il avait un petit calendrier sur lequel il avait noté les dates d’anniversaire de tout le monde. Le 31 décembre, il servait le champagne à tout le personnel et le er janvier au matin, c’est lui qui ouvrait la porte à tous les employés pour leur souhaiter ses voeux.
Quelques anecdotes marquantes ? Un jour on me dit : “Aujourd’hui, c’est toi qui feras à manger à Monsieur Paul”. Une salade de haricots. C’est le genre de plats simples qu’il affectionnait. Je me suis mis une pression terrible. Un autre jour, il me dit, “Toi qui es du Sud, préparemoi une Tropézienne.” Je m’exécute en cuisine puis la tarte part au service. Quelques minutes après, Monsieur Paul me convoque. Il me voit et me dit simplement : “Assieds toi avec moi, mange un morceau, elle est vraiment bonne.” Ce genre de compliments, il n’y a rien de plus beau.
Que représente Paul Bocuse pour le chef que vous êtes ? Bocuse a transformé le métier. Pour moi, c’est le Auguste Escoffier du XXe siècle. Tout cela en appuyant sa cuisine sur les classiques, la simplicité. D’ailleurs, on retrouvait cette simplicité à tous les niveaux dans son restaurant. Même si nous recevions souvent des hôtes prestigieux, il n’y avait pas de service « VIP ». La personne qui avait économisé pendant des mois pour manger chez Bocuse était traitée avec les mêmes égards qu’une personnalité politique ou une star. C’est admirable, et ce n’est pas le cas partout.
Comment avez-vous réagi à sa disparition ? Une collègue me l’a annoncée samedi. Au début, je ne voulais pas y croire, car il y a déjà eu beaucoup de rumeurs. Quand la nouvelle a été officialisée, j’étais très triste. J’ai beaucoup échangé avec des collègues avec qui j’ai travaillé chez lui. On a partagé des anecdotes sur nos mois passés ensemble. On a perdu notre mentor, un père. Il faut dire que quand on travaille pour Monsieur Paul, on fait partie d’une équipe, d’une famille. J’ai retrouvé la chemise blanche qu’il m’a remise lorsque je travaillais pour lui. Vendredi, je la porterai bien sûr, à Lyon pour la cérémonie d’hommage.