Var-Matin (Grand Toulon)

Prison: pourquoi le conflit s’envenime jusque dehors

Abderrazak Touta n’a pas obtenu la requalific­ation qu’il demandait en violences mortelles sans intention de tuer. Nabil Djebien a été condamné à huit ans de prison pour complicité

- G. D. SONIA BONNIN sbonnin@varmatin.com

La cour d’assises a délibéré deux heures et demie hier soir pour rendre un verdict conforme aux réquisitio­ns de l’avocat général. Aux intérêts des frères d’Imad Mahmoudi, Me Virginie Pin a dénoncé l’omerta de la cité du Val des Rougières. « Ils savent que la vérité ne sortira pas, parce que ceux qui savent ne veulent pas parler. » Me Romain Callen a pour sa part traduit le sentiment des parents de la victime, « de l’exécution sommaire d’un gamin de 24 ans, entre gens qui ont été amis d’enfance, et pour un motif d’une banalité effarante ».

« Un geste fait pour tuer »

« Effectivem­ent, ça ressemble à une exécution, a convenu l’avocat général Patrick de Firmas. Personne n’a contraint Abderrazak Touta à placer l’arme où il l’a placée. Personne ne l’a contraint à appuyer sur la détente. Cela fait de lui un meurtrier. » L’avocat général a résumé l’ensemble des témoignage­s convergent­s, qui décrivaien­t Abdou Touta arrivant du bâtiment E l’arme à la main. Il en a conclu que le 357 magnum lui avait été remis dans le hall de l’immeuble. Par qui ? « Pour moi c’est Nabil Djebien qui, en garde à vue, s’empresse de dire qu’il a touché cette arme. Parce qu’il ne sait pas encore que les expertises n’y retrouvero­nt pas d’ADN. » S’il ne pensait pas qu’Abderrazak Touta avait l’intention de tuer son camarade une seconde avant d’appuyer sur la détente, M. de Firmas n’était pas prêt à envisager des violences mortelles sans intention homicide. «Tirer dans la tête de quelqu’un à 20 cm, c’est un geste fait pour tuer. » Il a requis douze à quatorze ans contre le jeune homme, et onze ans de réclusion contre Nabil Djebien.

Acquitteme­nt demandé

«La mauvaise réputation ne m’intéresse pas , a dit Me Christophe Hernandez pour la défense de Nabil Djebien. Depuis l’origine, il conteste être le propriétai­re de l’arme, l’avoir remise, et avoir donné l’ordre de s’en servir. » Il a souligné que Nabil Djebien n’avait aucun mobile pour s’en prendre à Imad Mahmoudi. À la différence Douze jours que les prisons grondent. Douze jours que les surveillan­ts se mobilisent, chaque matin ou presque, pour crier leur colère devant l’insécurité qu’ils subissent en allant travailler. Désormais, c’est aussi depuis l’intérieur que la colère monte, et revient comme un boomerang. Hier après-midi, ce sont les proches de détenus qui étaient à la porte, fulminant de ne pouvoir accéder aux parloirs. Bahia vient de Nice, Meghann de Paris, Annie et Jacques de Normandie. Des heures et des heures de transport, de voyage. «Ils sont en grève, on peut le comprendre, lâche «la fiancée» d’un détenu, mais au moins qu’ils préviennen­t. Les frais de route, c’est pas eux qui les paient.»

«Même mon chien sort plus que moi»

D’autres sont beaucoup plus virulents. «On nous parle comme des chiens. On n’a même pas le droit de rentrer des sacs de linge, au moins des serviettes propres pour la douche.» Au téléphone justement, un détenu appelle. Sa compagne ne cesse de dire, «calme-toi». Il assure ne plus avoir de courant dans sa cellule. « Pas de parloir, pas de gamelle, pas de cantine, rien dans l’estomac depuis hier », affirme-t-il la voix rageuse. Il a 19 ans. Cela fait deux jours qu’il tourne en rond dans les 9m² qu’il doit partager avec deux autres détenus. « Même mon chien, il sort plus que moi.» Beaucoup de femmes ont attendu la fin de journée, dans l’espoir que quelques parloirs seraient possibles. En vain. Pour reprendre un autre rendezvous, les familles ont obtenu aux forceps l’ouverture des bornes qui délivrent les précieux sésames. Meghann va reprendre le train pour Paris et reviendra mardi prochain. «Je n’ai pas le choix, je suis pratiqueme­nt venue tous les dix jours depuis cinq mois.» Anxieuse, la gorge serrée, pour un compagnon qui «ne va pas bien du tout». Venir le voir, «c’est le minimum. Dedans, c’est pas tous des durs.»

CRS et gendarmes à l’intérieur

Hier en milieu de journée, les CRS qui avaient délogé les manifestan­ts du matin sont entrés dans la prison, pour participer à l’organisati­on d’un service minimum dans les coursives. «Faire l’appel, distribuer les repas, les médicament­s, le courrier », liste un surveillan­t, assurant qu’il y a eu «deux distributi­ons de repas, hier [mercredi]». Dans la prison, c’est le serpent qui se mord la queue. Les détenus qui travaillen­t en cuisine d’ordinaire, ne sortent plus de leur cellule. Tout est suspendu, le prestatair­e privé doit se débrouille­r. Les détenus ontils reçu, comme certains l’affirment, une boîte de thon et un morceau de pain? En fin de journée hier, de source syndicale, des gendarmes sont entrés à leur tour pour compléter les équipes à l’intérieur du centre pénitentia­ire. Les surveillan­ts qui n’ont pas pris leur service sont clairement sous la menace de sanctions. Mais c’est la base, qui est la plus virulente. de Rachid Bagha, sévèrement corrigé la veille par la victime, puis à nouveau blessé à la tête lors de la bagarre devant la salle des fêtes. « Il a bénéficié d’un non-lieu, tant mieux pour lui et tant pis pour la vérité. Moi je vous demande l’acquitteme­nt de Nabil Djebien, qui n’a rien à voir dans la mort de la victime. » Tout l’enjeu de la plaidoirie de Me Thierry Fradet était d’éviter à Abderrazak Touta une condamnati­on pour meurtre. «On est sûr qu’il n’a pas de mobile, qu’il n’est pas menacé et pas concerné par ce qui s’est passé la veille. Une seconde avant, il ne voulait pas tirer. Il voulait tout calmer, jouer un rôle. Dans le face à face, Imad a eu un geste, peut-être de peur, et le coup est parti. » Me Fradet a demandé aux jurés d’écarter l’intention homicide, pour retenir les violences avec arme, ayant entraîné la mort sans intention de la donner. « Le résultat doit être pris en considérat­ion, mais ce qui prime, c’est l’intention. » Les jurés n’ont pas eu de doute sur l’intention. Hier, un nouveau texte de négociatio­n était soumis aux agents pénitentia­ires. On saura ce qu’ils en pensent ce matin tôt. Au pied du mirador principal.

Newspapers in French

Newspapers from France