Les escapades amoureuses de Casanova sur la Côte
Le célèbre libertin du XVIIIe a pris maîtresses au gré de séjours à Toulon, Antibes, Nice, Menton, relatant ses conquêtes et ses ébats dans ses Mémoires
Rien n’est plus doux que la vie menée par un homme avec l’être qui l’aime. » L’un des plus célèbres libertins du XVIIIe siècle a prononcé cette jolie phrase : Giacomo Casanova. Le XVIIIe siècle ? Le siècle de la galanterie ! Le peintre de Grasse, Honoré Fragonard, en a apporté la preuve au gré de ses tableaux. Mais Casanova, lui, ne s’est pas contenté de voir l’amour en peinture. Il en a fait son art de vivre. On lui prête cent vingt-deux conquêtes féminines. On ne prête qu’aux riches ! Certaines de ses aventures ont eu lieu dans notre région. C’est en 1758, à Toulon, qu’il s’aventure pour la première fois sur nos rivages. Il est en compagnie d’une jeune Rosalie qu’il a rencontrée à Marseille. En quelles circonstances ? Il le raconte lui-même dans ses Mémoires. Mais, attention, ce récit n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est quand même du Casanova ! Voici l’histoire. Étant allé au théâtre à Marseille en compagnie d’un ami, chevalier de Malte, il remarque dans une loge une jeune femme à son goût. De toute évidence – par son habit, sa coiffure, ses manières - elle est « de moeurs légères ». Le chevalier, heureux de faire plaisir à son ami, propose sans façon à Casanova de lui payer une nuit avec cette jeune femme. Il accepte. Le voilà donc avec elle dans une chambre d’hôtel. Il raconte, avec un beau sens de la formule : « Elle m’offrit alors le vêtement anglais qui met l’âme en repos ». L’âme en repos ! Voilà une drôle de façon d’évoquer l’usage du préservatif ! « Mais, poursuit-il, je n’en voulus pas car il était d’une qualité trop ordinaire ». Monsieur est exigeant ! Sa compagne actionne alors une sonnette et fait venir une jeune fille portant une autre boîte de protections.
Il part avec Rosalie pour Toulon
Coup de foudre de Casanova pour la jolie arrivante ! Il devient fou. Il laisse sur place la femme avec laquelle il était venu et part aussitôt avec cette jeune fille, laquelle n’offre aucune résistance. Elle s’appelle Rosalie et a 15 ans. « Le lendemain, poursuit Casanova, je m’en allai avec elle dans une voiture tirée par quatre chevaux de poste, ayant mon maîtrevalet Le Duc et mon valet Costa sur le siège du cocher. J’ordonnai aux postillons de prendre la route de Toulon, car j’avais envie de voir ce beau port. Nous y arrivâmes à 5 heures… Ce fut le commandant du port qui nous servit de guide. Ayant offert son bras à Rosalie, il la traita avec beaucoup de considération. L’après-midi il nous fit visiter l’arsenal… Quand nous fûmes revenus à l’hôtel, elle me sauta au cou. Je la récompensai d’amour... »
Un véritable amour à Nice
Le périple galant se poursuit sur la Côte. Casanova continue : « À Antibes, je louai une felouque pour me transporter à Gênes, et comme j’avais le dessein de reprendre le même chemin à mon retour d’Italie, je fis mettre ma voiture en remise, en payant une bagatelle par mois. Nous partîmes au point du jour par bon vent, mais la mer étant devenue houleuse, et ma Rosalie mourant de peur, je fis entrer la felouque, à force de rames, dans le port de Villefranche où, pour avoir bon gîte, je pris une voiture pour Nice. Le mauvais temps nous y retint trois jours et je me crus obligé d’aller faire ma révérence au commandant, vieil officier qui se nommait Peterson. Il me reçut fort bien… Le soir il vint me voir et Rosalie l’enchanta, tant elle fut aimable. Ce fut un succès de plus dont je ne manquai pas de la féliciter. » Commentaire de Casanova sur la ville de Nice - qui appartient, à l’époque, au Royaume de Piémont-Sardaigne : « Nice est le séjour de l’ennui et les moucherons y font le tourment des étrangers, car ces insectes les préfèrent aux habitants. Cependant je m’y amusai à cause d’une petite banque de pharaon que l’on tenait au café et à laquelle Rosalie, que je forçai à jouer, gagna une vingtaine de pistoles de Piémont…» La « banque de pharaon » était un jeu d’argent clandestin. Mais le plus important, pour lui, à Nice est la présence de Rosalie à ses côtés : «Je m’attachais à cette personne, espérant qu’elle serait à moi pour le reste de mes jours, et que, vivant content avec elle, je ne me sentirais plus le besoin de courir de belle en belle. Mais la destinée en décida autrement. Le vent s’étant remis au beau, nous nous embarquâmes au commencement de la nuit et nous arrêtâmes le lendemain de bonne heure à Gênes... » À Gênes, coup de théâtre : un certain Pietri se présente à Casanova, dit qu’il a rencontré Rosalie avant lui, qu’ils sont fiancés, qu’elle était enceinte de lui. Bien sûr, elle n’a rien dit à Casanova. Que fait l’incroyable libertin ? Il n’est pas homme à défigurer le fiancé à coup de poing. Il négocie habilement, propose de payer le séjour de Rosalie dans un couvent jusqu’à son accouchement, en lui faisant promettre qu’ils se reverront un jour. Ils se revirent, en effet, lors d’un nouveau passage de Casanova à Gênes l’année suivante. Elle lui présenta sa fille, âgée de 6 mois et lui annonça qu’elle s’était mariée avec Pietri.
«L’aubergiste ayant signalé que le prince Honoré III et son épouse la princesse de Monaco étaient à Menton, je me décidai à les rencontrer. Il y avait treize ans que je lui avais fait ma cour à Paris, où je l’empêchais de bailler en soupant avec lui et avec sa maîtresse Caroline… » Casanova, extrait de ses Mémoires
Mais lui non plus n’était pas seul. Il était en compagnie d’une jeune personne qu’il présenta à Rosalie comme sa nièce. « Une nouvelle nièce, éclata de rire Rosalie ? Vous ne pouvez pas me mentir, mon ami: je connais cette fille, elle est de Marseille et s’appelle Crosin ! »
Halte à Menton avec son frère recherché
Casanova et Rosalie se quittèrent avec nostalgie. C’est alors - toujours à Gênes - qu’un personnage inattendu surgit dans le paysage. Un abbé en guenilles qui n’est autre que… le frèrecadet de Casanova. Il fuit Venise, où il a enlevé à sa famille une jeune Marcoline dont il est tombé amoureux. Il est recherché par la police. Deux hommes et deux femmes s’apprêtent à rejoindre au plus vite la Côte d’Azur par bateau : Casanova, son frère, sa « nièce » et Marcoline. A ceux-là s’est joint un certain Passano, poète de son état. La croisière est mouvementée, la mer mauvaise. On fait halte à Menton. « Mes deux belles amies (ma nièce et Marcoline) étaient malades, ainsi que Passano et mon frère. Quant à moi, je me portais à merveille. Ayant mené mes deux malades à l’auberge, je permis à Passano et à l’abbé d’aborder et de se rassurer à terre… Le plaisant de l’affaire est que ma nièce s’était éprise de Marcoline au point qu’elle m’avait prié de la laisser coucher avec elle. Comme je pouvais
assister à leurs lubriques folies, je n’y avais mis aucun obstacle. » Casanova poursuit : « L’aubergiste ayant signalé que le prince Honoré III et son épouse la princesse de Monaco étaient à Menton, je me décidai à les rencontrer. Il y avait treize ans que je lui avais fait ma cour à Paris, où je l’empêchais de bailler en soupant avec lui et avec sa maîtresse Caroline… Il n’était point marié alors, et, à présent, je le retrouvais dans sa Principauté avec son épouse dont il avait déjà deux fils. La princesse était née marquise Brignole (NDLR : riche famille de Gênes sans rapport avec la cité du Var, Brignoles), riche héritière et femme particulièrement aimable… » Casanova décida de faire une farce au prince. L’attirant à l’auberge en lui disant « qu’il était avec deux beautés », il partit juste avant son arrivée, lui laissant le soin de payer les repas. On ne sait quelles furent, par la suite, les relations entre Casanova et le prince de Monaco ! L’incroyable libertin, lui, avait repris la mer.
À Antibes et Nice : des nuits de rêve
« Arrivés à Antibes, ma nièce me tendit la main en baissant les yeux de l’air le plus tendre et le plus modeste. Enivré de bonheur de voir une complaisance qui ressemblait si bien à de l’amour, je me couchai près de cette ravissante fille en m’écriant : - Enfin voici venu l’instant de ma félicité ! - Et de la mienne, mon cher ami. - Comment, de la tienne ? Ne m’as-tu pas constamment repoussé ? - Jamais, je t’ai aimé dès le premier instant, et j’ai souffert ton indifférence avec la plus douloureuse amertume… Nous passâmes une nuit plus facile à deviner qu’à décrire. Marcoline vint nous trouver le matin, nous fit cent caresses et nous promit de coucher seule pendant tout le voyage. » C’est ainsi que Casanova prétendit avoir passé une nuit de rêve à Nice. Le lendemain matin, il reprit la route, fit ensuite halte à Fréjus, le Luc, Brignoles. Histoire d’aller étancher hors de notre région sa soif d’amour.