Le coordonnateur loup au chevet des éleveurs à Nice
Le préfet Stéphane Bouillon, chargé d’animer ce débat national passionné, a rencontré hier les éleveurs ovins des Alpes-Maritimes. Dans le département le plus touché, ils disent leur désarroi
Un échange « franc et courtois ». Loin des hurlements de loups, donc. Ainsi Stéphane Bouillon, coordonnateur du plan national d’actions loup, qualifie-t-il son entrevue avec les représentants du monde ovin inquiets, hier à Nice. Une rencontre en forme d’opération déminage, sur un sujet délicat et passionné. Le débrief.
Dans quel contexte ?
Le préfet de région Auvergne-Rhône-Alpes, intronisé « Monsieur Loup » du gouvernement, a la lourde tâche de favoriser le dialogue entre représentants de l’Etat, du monde agricole et des associations écologistes. Huit jours après la présentation du nouveau plan loup, Stéphane Bouillon est venu l’expliquer aux éleveurs des Alpes-Maritimes. Le département le plus touché, « où sont tuées plus du tiers des brebis » (sur plus de 11000). Hier après-midi, au palais préfectoral, Stéphane Bouillon a rencontré le préfet des Alpes-Maritimes Georges-François Leclerc, la sous-préfète Nice-Montagne Gwenaëlle Chapuis, les représentants de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et, donc, les éleveurs. « Pour leur présenter le plan, les écouter et leur expliquer le travail qui nous attend. Je devrai en rendre compte au gouvernement tout au long de l’année », précise-t-il.
Quel est le plan ?
Publié le 19 février dernier, le Plan loup 2018 prévoit un plafond d’abattage de 40 spécimens pour 2018. Ce nombre sera réajusté en cours d’année en fonction de l’évolution de la population, afin d’être porté à 10 % du total. 360 loups avaient été recensés en France fin 2017, contre 292 en 2016. Et l’objectif fixé est de 500 spécimens en 2023. D’ici là, le plafond annuel restera fixé à 10 %. Voilà pour les chiffres. Restent les actes. Se sachant attendu de botte ferme, Stéphane Bouillon est venu préciser les modalités d’abattage (de septembre à décembre, mais aussi en cas d’attaque). « Une organisation assouplie en termes de tirs, insiste-t-il. Le principe, c’est de permettre aux éleveurs de se défendre contre les attaques, quel que soit le total des loups qui peuvent être tués dans l’année. » Pour l’objectif final, le préfet cite le président Macron : « Que l’éleveur puisse être remis au coeur de la montagne ».
Pourquoi ça coince ?
Des éleveurs ovins aux défenseurs de l’environnement, tous ont montré les crocs face à ce énième plan loup. Inadapté pour les uns. Révoltant pour les autres. Alors hier, à la table où a pris place une demi-douzaine d’éleveurs, le préfet Stéphane Bouillon a pris soin d’évoquer leurs difficultés «enmatière d’aide à la protection, de gestion juridique des problèmes avec les patous, de l’importance des pertes ». Pour autant, pas question de prendre parti. Chargé d’insuffler du « et en même temps » dans la concertation, le « Monsieur Loup » du gouvernement en appelle à la responsabilité. « Les éleveurs voudraient avoir leurs bêtes tranquilles, et les associations voudraient que le loup puisse se déplacer sans aucune contrainte... Mais on est dans un monde où les uns et les autres doivent apprendre à cohabiter ensemble ! »
Les raisons d’y croire ?
Réussira-t-il là où tant d’autres se sont cassés les crocs ? Stéphane Bouillon veut y croire. Car lui dispose de « plus de pouvoirs. Je travaille en liaison étroite avec les 33 préfets de département concernés. À partir de l’été, je suis amené à autoriser les tirs de prélèvement là où ils sont nécessaires. Et j’ai la possibilité, au-delà du plafond de 40 loups, d’autoriser des tirs de défense simple pour des éleveurs attaqués. » Les Alpes-Maritimes, « porte d’entrée » de l’animal depuis l’Italie, seront forcément scrutées de près. Le préfet évoque des « expérimentations, pour voir comment peuvent être protégés les troupeaux dans les estives. » Il y a urgence, admet Stéphane Bouillon. Il assure « partager l’inquiétude terrible, désolante » de ces éleveurs, dont il « comprend la douleur quand ils voient des bêtes égorgées chaque matin. »
L’avis des éleveurs ?
Le plan loup peut-il être réajusté ? « Ça va être très compliqué », s’inquiète Jacques Courron. Le visage grave, le président de la fédération ovine des Alpes-Maritimes a néanmoins vu un interlocuteur « à l’écoute ». «Il faut espérer qu’il y ait une remise à niveau dans les six mois. Que notre parole soit vraiment prise en compte. » Or, cette parole-là est constante... Même si « cela ne plaît pas au grand public : il faut faire du prélèvement dans les zones à risque. Celles où il y a trop de pression sur les troupeaux. » En l’état, Jacques Courron en est persuadé : « Le nombre de victimes ne va pas diminuer. Au contraire, les attaques vont s’accroître ! » Christian Pascal, éleveur à Saint-Auban, confirme ces inquiétudes. Et en exprime une autre, la gorge nouée. « Notre profession est menacée, c’est sûr et certain. L’existence des troupeaux en liberté est vouée à l’échec. Les moutons libres, avec le loup, c’est impossible ! À l’Etat de trouver la solution. »