Var-Matin (Grand Toulon)

« On choisira le moins pire... sans savoir lequel c’est »

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Des collines nappées de blanc. Des grappes de neige fraîche qui se décrochent des palmiers en pleine ville. Aucun doute : le coup de froid sibérien est aussi passé ici, sur la côte ligure. Ce mardi, comme chez la Côte d’Azur voisine, le mercure flirte avec le zéro à Vintimille. Mais un sujet suffit à y réchauffer les esprits : les élections législativ­es de ce dimanche 4 mars. A quelques jours d’un scrutin majeur pour l’Italie (et pour l’Europe), l’atmosphère se prête bien à prendre la températur­e du pays. L’autre. Et les affiches électorale­s alignées piazza della Liberta, sous les fenêtres de la mairie, donnent le ton. « Stop à l’invasion ! », scande la Ligue de Matteo Salvini, affranchie du qualificat­if « Nord » devenu trop resctritif à ses yeux. « Invasion » : le slogan fait mouche dans cette cité transfront­alière, devenue sas d’attente de l’immigratio­n clandestin­e vers l’Europe... du nord. « Berlusconi président », proclame la pancarte de son allié Forza Italia. Comme un éternel retour vers le futur made in Italy. « Participe. Choisis. Change », martèle au contraire le mouvement 5 Etoiles du tribun populiste Beppe Grillo. Et puis, un peu plus loin, un peu esseulées, ces affiches rouges au ton sobre, neutre, quasi inaudible : « Votez PD ». Comme une supplique à offrir sa dernière chance au Parti démocratiq­ue, après trois gouverneme­nts successifs. Trois. Comme le nombre de forces en présence.

« Grillo parle trop mais... »

Alors, qui choisir dimanche ? « Moi, je vote pour tous ! », lance joyeusemen­t Alberto Lupi. Ce retraité de 75 ans arpente les allées du marché de Vintimille. Marché couvert transi de froid, mais où les langues aiment à se délier autant que le porte-monnaie. Comme nombre de ses compatriot­es, Alberto Lupi se dit « plutôt prêt pour changer. Parce que ce qu’on a vu jusqu’à présent, hein... » Il refuse le jeu des « extrémiste­s, d’un bord comme de l’autre. » Il exclut d’emblée « le pire : Berlusconi. On a déjà essayé pendant vingt ans. Il ne pense qu’à ses propres intérêts. » Comme nombre de ses compatriot­es, Alberto Lupi craint aussi «les promesses non tenues ». Alors, qui ? « Beppe Grillo dit certaines choses intéressan­tes... même s’il parle trop. Je vais donc essayer 5 Stelle. S’ils se trompent, on aura tenté. De toute façon, l’un vaut l’autre... » Désillusio­n. Résignatio­n. Tels sont les enfants terribles de la souffreteu­se histoire contempora­ine de l’Italie, qui a vu défiler 61 gouverneme­nts depuis 1946. Reste que ce dimanche, trois directions bien distinctes s’offrent aux 51 millions d’électeurs transalpin­s. « Vous verrez : là, ils parlent beaucoup. Mais à la fin, ils finiront par travailler ensemble et à s’adapter à la réalité », professe pourtant Marco Ficarra. Ce boucher de 43 ans se rassure à sa façon : « Au moins, ici, nous n’avons pas de Trump ! » Pas de Trump, certes. Mais un autre animal politique, dont le sourire lifté suscite autant de sarcasmes que la capricieus­e chevelure du président américain : Silvio Berlusconi. Un Cavaliere pourtant inéligible. « Il annoncera vendredi qui ira à sa place », précise Marco Ficarra. Lui votera bien pour la coalition de droite. «Ilyade l’espoir, quand même. Ce qu’ils disent est simple : ce n’est plus “Nous allons supprimer les taxes” mais “Nous allons les baisser et voir ce que l’on peut faire” ».

Les migrants au carrefour des conversati­ons

Pour ce commerçant, « la gauche n’y arrive pas. Ils ont fait trop et mal. Ils ont mis le foutoir ! » Marco Ficarra regarde avec envie vers Menton où vit sa soeur, vers une France « qui montre l’exemple sur la santé, sur l’éducation. » Côté italien, il identifie trois enjeux cruciaux : « L’école, les taxes et... les migrants. » Nous y revoilà. À ces extracomun­itari venus de la Corne de l’Afrique, de l’Afrique noire, du Maghreb ou encore de la Syrie. Ces « extracommu­nautaires » qui promènent leurs silhouette­s désoeuvrée­s des berges blanchies de la Roia au parvis de la gare de Vintimille. « Ils sont partout. Nous avons tant de problèmes avec eux... », soupire Marco. Et d’égrener tout un éventail de griefs, des incivilité­s aux larcins. « Ils ne sont pas méchants... Mais l’Europe nous donne des leçons, sans nous en donner les moyens. » Les migrants ? « Il s’agit d’un phénomène mondial, pas italien. On exagère beaucoup l’impact de ces jeunes gens sur la sécurité », objecte Ricardo. Ce marin de 29 ans, basé à Gênes, accuse les médias « berlusconi­sés » de jouer un dangereux jeu anxiogène qui sert l’allié « droite dure » Salvini. « Les Italiens ont été des migrants, eux aussi ! Et ils étaient traités à l’époque comme les Noirs aujourd’hui », rappelle Ricardo. Alors, dimanche, le beau marin fera escale au bureau de vote. Pour porter « [s]es valeurs, qui ne sont ni celles de 5 Stelle, ni celles de la Lega. » Ricardo soutiendra Pier Luigi Bersani, éphémère vainqueur des élections de 2013. « Ce pays a besoin de quelqu’un qui entreprenn­e de nouvelles actions. Pas de ceux qui promettent de baisser les taxes : ce n’est pas ça, l’urgence pour l’Italie. » L’urgence ? Elle est d’abord sociale, estime pour sa part Nemo Nullius. « Nous avons plus de dix millions de gens en situation précaire : la moitié vit dans la misère, l’autre dans la pauvreté », déplore cet ancien horticulte­ur de 85 ans, dont le chapeau dissimule à peine un regard pétillant de juvénilité.

« Berlu ? Un fraudeur ! »

Dans les allées du marché, chacun donne du professore à Nemo Nullius. Professeur ? « Parce que je suis le seul à savoir écrire ici ! », s’esclaffe l’alerte retraité, en pleine discussion avec Carmello Piccolo, 52 ans. Ce commerçant en fruits et légumes - « d’origine calabraise » ,ilinsiste - complète l’état des lieux : « Le vie est dure, les retraites sont basses et les impôts très élevés. Regardez les amendes pour le stationnem­ent : que vous soyez pauvre ou riche, vous payez 27 euros. Il faudrait s’inspirer de la Suisse, où elles varient selon les revenus. » Constat partagé. Mais solutions aux antipodes. Pour Nemo Nullius, « il n’y a qu’une réelle opposition, celle contre qui tout le monde s’est ligué : 5 Stelle. » Les extrêmes ? A ses yeux, ce sont plutôt le PD et la droite. «Car ils font partie du même groupe d’intérêts : les banques, le gros capital. » Carmello Piccolo s’efforce de tempérer ses ardeurs : « 5 Stelle, c’est un parti de protestati­on... » Nemo Nullius réplique : « Maintenant ils ne protestent plus ; ils proposent. » La tête enfoncée dans son bonnet, son vis-à-vis affiche une mine dubitative. Carmello « croit », Carmello « espère », et Carmello « votera pour Berlusconi ». À l’évocation de ce nom, Nemo rugit : « C’est un fraudeur ! Il a été condamné ! Il a escroqué le pays. Maintenant c’est à nous de payer et toi, tu vas voter pour lui?» Rien à faire. Les deux compères se quittent bons amis, mais d’avis divergents. Pessimiste, il professore Nullius conclut d’un : «Ilfaudra cinquante ans pour résoudre les problèmes de l’Italie. Entretemps, l’Europe se sera écroulée car elle se désagrège peu à peu. » Fin d’hiver glaçante, décidément, dans cette Vintimille tiraillée entre douches froides et espoir de vent nouveau. Dans leur stand de pâtes fraîches et de parmiggian­o, Emmanuella Bruno, 47 ans, et Francesca Michelutti, 26 ans, résument «le désarroi le plus total » qui assaille l’électeur italien ces jours-ci. « Nous ne savons pas qui voter. Nous choisirons le moins pire... Mais sans même savoir lequel c’est ! » Elles aussi pourraient tenter le pari 5 Etoiles. Faute de mieux. Quoi qu’il advienne, elles retiendron­t « une campagne terrible. Ils passent leur temps à se critiquer les uns les autres. Mais quand à dire ce qu’ils vont faire, là, il n’y a pas grand-monde... »

Au moins, ici, nous n’avons pas de Trump ”

 Etoiles est passé de la protestati­on aux propositio­ns”

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(Photos Christophe Cirone) « Change. » « Vote. » Du  Etoiles montant au Parti démocratiq­ue sortant, les affiches électorale­s donnent le ton, à Vintimille, piazza della Liberta. Dans le marché voisin, commerçant­s (ici à gauche, Carmello) et clients (à droite, Ricardo)...

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