Le bulldozer
Jamais content. Le Français a la critique facile et… réversible. Il faut se lever matin pour le trouver à court d’une rancoeur. Longtemps, il a brocardé l’inaction de ses gouvernants, leur incapacité à desserrer les carcans, l’insupportable décalage entre les annonces et la concrétisation du changement à un train de sénateur. Et voilà que la perspective s’inverse. Une petite musique monte, rengaine corrosive. Le gouvernement en ferait trop. Il courrait trop de lièvres à la fois, dans un vertige réformiste prompt à donner le tournis aux plus casse-cou. Sans doute y a-t-il eu, en mai dernier, l’esquisse d’un malentendu. En partie, le pays a élu Emmanuel Macron par défaut, parce qu’il ne croyait plus en personne. Mais ce Président bulldozer, lui, avance bardé de certitudes qui bousculent les conforts établis. La France conquise à la hussarde, il ressuscite Bonaparte et chamboule tout sur son passage. D’autant plus facilement qu’il ne rencontre aucun obstacle majeur : les partis d’opposition sont, sans exception, à la ramasse, tandis que les syndicats ont insensiblement perdu l’oreille du monde du travail. Alors Macron fonce, mu par l’urgence qui habite sa génération, formatée à faire plusieurs choses en même temps. Quitte à s’éparpiller. Quitte aussi à réduire à peau de chagrin cette promesse de démocratie participative que certains avaient cru épouser en rejoignant l’aventure d’En marche ! Macron le sait bien, ce n’est pas la défense du statut des cheminots qui fera descendre dans la rue une France qui a pris son parti des évolutions du monde. Son principal risque vient de son camp, de cette armée de marcheurs si hétéroclite qu’elle pourrait, un jour, se disloquer. Il a, jusqu’ici, réussi à en préserver l’unité, dans une geste gaullienne à l’autorité incontestée. Dans un pays nourri aux symboles, où les incendies naissent parfois d’une broutille, le chef de l’État devra cependant négocier un cap délicat en mai. L’achèvement de sa première année de quinquennat coïncidera avec le cinquantième anniversaire de mai . Un point de convergence propre à cristalliser les rancoeurs diffuses, autour du seul vrai talon d’Achille du gouvernement, le pouvoir d’achat. Dont, au premier rang, les retraités, ces soixante-huitards rattrapés par la placidité de l’âme, ont bien mesuré qu’il était en berne les concernant. De là à retourner battre le pavé ?
« Macron fonce, mu par l’urgence qui habite sa génération. »