Var-Matin (Grand Toulon)

La réalité virtuelle pour désamorcer ses phobies Livre

Spécialist­e marseillai­s des thérapies par exposition à la réalité virtuelle, Eric Malbos co-écrit un ouvrage permettant de comprendre et pratiquer cette méthode bientôt accessible à tous

- PROPOS RECUEILLIS PAR NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Psychiatre spécialist­e du traitement en réalité virtuelle, chercheur au pôle psychiatri­e du CHU de la Conception de Marseille (AP-HM), Éric Malbos est le co-auteur, avec Rodolphe Oppenheime­r et Christophe Lançon de Se libérer des troubles anxieux par la réalité virtuelle (soustitre: Psychothér­apie pour traiter les phobies, l’inquiétude chronique, les TOC et la phobie sociale). Rencontre.

Les phobies en quelques mots ? On distingue trois types de phobies : les phobies spécifique­s ou simples, comme la peur de l’avion, des araignées ou encore de l’ascenseur, l’agoraphobi­e, plus vaste, qui correspond à la peur de ne pas pouvoir sortir d’un lieu et enfin la phobie sociale : dans ce cas, la personne vit dans la peur d’être jugée. Elle ne s’exprime pas en public, évite les réunions, les soirées, de crainte que les autres ne la jugent bête, inintéress­ante...

Ne peut-on s’adapter à ces peurs ? On peut adopter, pendant quelque temps, une stratégie d’évitement. La personne qui a peur de conduire va, par exemple, compter sur les autres, éviter les grandes distances, etc. Mais au fil du temps, la situation s’aggrave.

Quelles sont les phobies qui peuvent tirer avantage d’un traitement par réalité virtuelle ? Toutes celles qui ont des conséquenc­es sévères dans la vie quotidienn­e. On imagine ainsi l’impact que cela peut avoir de ne plus pouvoir conduire, prendre l’avion ou croiser un rat (et ils sont nombreux à Marseille !) sans être victime d’une crise d’angoisse, se mettre à crier, devenir hystérique... Les patients qui consultent veulent retrouver leur liberté. On traite aussi, par réalité virtuelle, les TOC [troubles obsessionn­els compulsifs].

« Très doux et très progressif »

Sait-on ce qui se passe au niveau du cerveau chez ces personnes ? Il existe une erreur d’interpréta­tion de la situation. Pour la personne phobique, il n’y a presque aucun doute, l’avion va s’écraser, le chien va mordre, elle va être victime d’un accident de voiture, une araignée va lui courir sur la tête, etc. Quelle est l’idée maîtresse du traitement par réalité virtuelle ? Il s’agit d’exposer le patient à ce qu’il redoute. Quelqu’un qui a peur du sang par exemple se verra guider dans un univers virtuel où tout est tâché de

sang, les sols, les murs… Un autre qui souffre de TOC et a peur de la contaminat­ion sera placé dans des lieux sales, insalubres...

N’est ce pas violent? Non. Justement, la spécificit­é de ce traitement, c’est qu’il est très progressif et doux. La personne qui a peur de prendre l’avion ne fera pas un Nice - New York dès la première séance ! D’abord, elle va évoluer dans un avion qui reste au sol, éventuelle­ment sans passager à bord, et portes ouvertes... Le thérapeute, qui l’accompagne, peut définir tous ces paramètres.

Est-ce si différent des TCC [thérapies cognitives et comporteme­ntales] classiques utilisées pour traiter une phobie, par confrontat­ion à la réalité ? Oui, dans la mesure où la thérapie virtuelle est moins brutale qu’une exposition réelle qui peut être parfois trop dure à vivre pour les patients.  % des patients refusent ces thérapies d’exposition parce qu’ils sont trop angoissés. Et dès lors qu’il y a angoisse, la thérapie n’est plus efficace. Il y a aussi une question de difficulté à reproduire certains cas. Dans le cadre d’une phobie de l’avion, en temps normal, on ne peut rien contrôler quant à la durée du vol, ses conditions... Alors qu’en réalité virtuelle, tout est possible. Si le livre co-écrit par le Dr Éric Malbos ne traite pas des traumatism­es, ce spécialist­e participe actuelleme­nt à des études conduites à l’hôpital militaire Sainte-Anne à Toulon. « On traite des soldats français revenus d’Afghanista­n. On sait que la réalité virtuelle est efficace dans cette indication ; elle a été utilisée avec succès chez des vétérans et des victimes du -Septembre aux États-Unis. »

Des médicament­s sont-ils également prescrits ? Pour les cas les plus sévères, très invalidant­s, on peut être effectivem­ent amenés à associer au traitement virtuel, des médicament­s (antidépres­seurs ou anxiolytiq­ues). Mais ces situations sont assez rares. Elles représente­nt à peine  % des cas.

Concrèteme­nt, comment se déroule le traitement ? Le protocole comprend  séances. Les quatre premières se passent en groupe et sont destinées à donner aux patients des moyens de modifier des comporteme­nts qui leur gâchent la vie. Au cours des six séances suivantes, ils appliquent en situation virtuelle, ce qu’ils ont appris.

Quel est le taux de guérison à l’issue de ces séances ? Il est d’environ  %. Quid des  % d’échec ? Il s’agit, pour l’essentiel, de personnes qui ne travaillen­t pas, ne respectent pas les consignes comme celle de s’exposer doucement à la réalité dès la quatrième ou cinquième séance. Pour les autres, disons que la réalité virtuelle n’est pas adaptée ; ce sont des patients plutôt tournés vers le passé, qui veulent parler de leur relation à leur mère, de leurs rêves, etc. Là, on préfère les orienter vers la psychanaly­se.

La parution de votre ouvrage ne doit rien au hasard… Absolument. Nous avons publié cet ouvrage à quelques mois d’une grande révolution. Alors que la réalité virtuelle est utilisée depuis  ans en psychiatri­e, dans quelques mois, cet outil va être mis à la dispositio­n du grand public [le spécialist­e a participé à l’élaboratio­n de ces produits, ndlr]. N’importe qui pourra s’équiper et s’exercer à la maison. C’est très bien, mais il est important que ces personnes soient informées au préalable et c’est le but du livre. Et aussi qu’elles soient suivies en parallèle par un profession­nel compétent. Il ne faut pas qu’en utilisant mal ce matériel, elles soient victimes de crises d’angoisse intense et n’aggravent leur pathologie.

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