Var-Matin (Grand Toulon)

Didier Deschamps nous livre ses vérités

A moins de trois mois de la Coupe du monde, Didier Deschamps se confie longuement

- Entretien réalisé par Vincent MENICHINI à Clairefont­aine

C’est un Didier Deschamps affable qui a reçu Var-Matin, hier après-midi, du côté de Clairefont­aine. Rasé de près, affûté et parfois taquin, « DD » a eu réponse à tout pendant une heure. Rompu à l’exercice médiatique, le sélectionn­eur n’a pas fait dans le sensationn­alisme, mais s’est parfois laissé aller à quelques confession­s savoureuse­s. A moins de trois mois de la Coupe du monde en Russie, la feuille de route est tracée. Au détail près ? « Oui, oui, je vous confirme, je suis assez carré », sourit-il.. Etes-vous différent de celui qui a préparé la Coupe du monde  ? L’expérience du Brésil va me servir, mais ce n’est jamais un copiécollé. J’ai un peu vieilli, j’espère que ça ne se voit pas trop (sourires). On part sur une longue période de vie commune. Il y a l’aspect sportif, mais pas que... C’est une aventure humaine et sociale. Le plus important, c’est de bien vivre ensemble ! L’Euro, c’était sept semaines de vie commune. En club, tu vas t’entraîner, tu rentres chez toi, tu retrouves la famille, etc… Là, il faut parfois accepter de ne jamais jouer, etc.

Il y a des choses que vous auriez pu mieux appréhende­r par le passé ? Je ne me pose plus ce genre de question. Je le faisais par le passé mais ça ne sert à rien. Quand c’est fait, c’est fait ! Le haut niveau, ce sont des détails. Ça peut paraître bateau, mais c’est la réalité. Le contexte n’est jamais le même.

Le poste vous apporte-t-il autant ou plus de plaisir que vous ne l’espériez ? Je considère toujours que c’est un privilège et un honneur d’être là. Je me sens bien et même épanoui dans ce rôle. Il y a des périodes plus ou moins agréables, ça dépend des résultats, des sujets, des débats même si aujourd’hui ça fait partie de l’environnem­ent. Je prends beaucoup de recul. Depuis l’avant-Euro surtout. Ce n’est pas parce que ça peut m’atteindre ou me blesser. Je prends un exemple : vous avez écrit un papier pas très positif sur moi ce matin et je vous vois. Les gens ne vont pas comprendre si j’ai envie de régler mes comptes, même si humainemen­t on peut avoir envie. Je laisse la place à tous les débats, mais je prends beaucoup de recul. En stage, désolé, je ne lis pas, je n’écoute pas. Je regarde une chaîne avec de la musique. J’ai des personnes autour de moi, s’il y a quelque chose d’important, mais je ne veux pas savoir le contenu.

Peut-être parce que vous avez été échaudé pendant l’Euro ? Oui, parce que ça a été au-delà de ce que je peux accepter. Qu’on m’attaque sur les choix, le --… Mais sur ma famille, qui n’est pas censée être prête à se défendre… Je ne suis pas dans le football pour ça. Je fais front, j’ai réagi parce que je le devais. Je vais vous dire une anecdote : après notre dernier amical avant l’Euro, à Metz contre l’Ecosse, je revenais au bus et un de vos collègues journalist­es m’a dit : bon, à partir de demain, c’est fini, on ne parle plus des histoires, on est derrière vous. J’ai regardé Guy (Stéphan) et j’ai dit : ah d’accord… J’ai pensé : alors ça ne tient qu’à ça, que deux ou trois influencen­t, que ce soit repris et que la vague puisse devenir un tsunami, basé sur rien… Ce qui me gêne, c’est quand l’argumentat­ion est partiale et encore plus quand elle est erronée. Mais ça arrive. Je m’adapte. C’est le buzz toutes les  minutes.

La principale leçon, c’est de s’attendre à tout ? Moi, je suis prêt à prendre des coups de partout. Je le savais avant. C’est un poste très exposé. Je n’ai pas de souci. Avant l’Euro, ça sortait du cadre sportif. C’est inconcevab­le. Je peux tout entendre, mais pas le domaine familial, avec des conséquenc­es. Là non. Sur les débats, chacun a le droit de donner son avis en donnant les bons mots. Ce qui a changé, c’est l’escalade dans l’agressivit­é verbale. Vous pensez faire partie des favoris, au même titre que l’Allemagne et le Brésil ? Je ne pense pas. Il y a l’Allemagne, le Brésil mais aussi l’Espagne qui sont devant. Leur vécu est plus grand. Nous, on a de la qualité, mais ceux qui ont  ans aujourd’hui seront plus forts dans quatre et dans huit ans. Je suis très content de les avoir. Le cycle de l’Allemagne, il a démarré en . Il y aura beaucoup d’attentes, c’est normal.

En Russie, il faudrait que les entrants soient performant­s, ce qui n’a pas vraiment été le cas à l’Euro... Ça aurait pu plus l’être avec « Dédé » (Gignac) en finale. On l’a oublié mais Antoine (Griezmann) a été décisif en sortant du banc lors du deuxième match. Il n’était pas vexé. Je l’ai géré. Il est arrivé usé, fatigué psychologi­quement et physiqueme­nt. Être sur le banc ne lui a pas donné le sourire mais il a bien réagi. Il n’était pas condamné pour la suite. Être passé par là lui a peut-être permis de faire un bel Euro. Aujourd’hui, je n’ai pas toutes les données. Je peux vous donner une équipetype mais ce ne sera peut-être pas celle qui va faire le premier match (du Mondial).

Les familles viendront-elles en Russie ? Oui, les familles viendront, bien évidemment. Il y aura une ouverture. Il y a de la frustratio­n quand vous repensez à cette finale contre le Portugal ? Quand on peut décrocher un titre au bout, ça fait toujours très mal une telle issue. L’opportunit­é de gagner un titre avec son équipe nationale est si rare. En club, vous avez parfois cinq possibilit­és par saison.

L’avez-vous déjà revisionné­e ? Non, non… Cela ne m’intéresse pas. Si on refait dix fois la même prestation, on la gagne neuf fois cette finale. J’ai l’air malin en disant ça, mais c’est la vérité. Mais bon, une fois que tu es en finale, je n’ai pas envie d’être à la place du « couillon ». Dire qu’on est vice-champion d’Europe, ça ne m’intéresse pas. Le « vice », très peu pour moi. On est juste finaliste...

En parlant de l’adrénaline, cela a été dur de se remettre dedans après, à titre personnel ? La défaite, je continuera­i de la haïr, mais il faut l’accepter. Le tout, c’est de tout faire pour la repousser. Si nous avions gagné le titre ? Non, sincèremen­t, je ne me serais pas posé la question d’arrêter. C’était prévu comme ça, que je continue. Même si ça m’est arrivé en tant que joueur d’arrêter sur un titre. Je l’avais fait étant joueur, en ayant gagné Coupe du monde et Euro. Continuer pour continuer, pour avoir la moitié de ce que j’avais eu, ça n’avait pas d’intérêt pour moi.

Sur les débats, chacun a le droit de donner son avis. Ce qui a changé, c’est l’escalade dans l’agressivit­é verbale ”

LA NOUVELLE GENERATION

Est-il difficile de faire faire des efforts à la nouvelle génération ? Sincèremen­t non… Elle a sans doute des petits défauts, mais pas celui-là. Elle est très imperméabl­e à tout ce qui se passe à l’extérieur. Ils ont confiance en eux, veulent tout, tout de suite. Vous les voyez à ,  ans, ils vont à l’étranger, dans les grands clubs. Ils ont beau avoir la qualité, ils ne sont pas sûrs de jouer, mais ils se battent et ils réussissen­t. Ils viennent là (en Equipe de France), ils veulent jouer, mais je ne peux pas tous les faire jouer.

Avoir un enfant de cette génération vous aide ? Ce n’est pas le même rapport, c’est ma vie privée. Mais je vois comment il réagit, ses centres d’intérêt qui sont un peu ceux de l’âge des jeunes joueurs. Ils ont une vision différente, comme moi quand j’étais sur la fin, en , et que j’étais avec des joueurs qui avaient des centres d’intérêt différents. Les codes entre les anciens et les plus jeunes, c’est comme ça, mais ça arrive dans tous les milieux. Dans le vôtre aussi, non ? (sourires) N’ont-ils pas tendance à ne pas vous écouter, parce qu’ils sont sur les réseaux sociaux, et qu’ils lisent et écoutent tout ce qui se dit sur eux ? Ils ont intérêt à m’écouter. Je ne sais pas s’ils me craignent, mais le respect est là. Quand il faut les encourager, je les encourage, et quand quelque chose ne va pas, je le leur dis. Ils ne parlent pas qu’à moi, je ne sais pas qui ils écoutent, libre à eux. Moi je leur parle pour leur bien, ils corrigent ou pas… Je ne peux pas les priver de leur liberté s’ils veulent aller sur les réseaux sociaux. Je suis qui pour ça ? On va cadrer comme on l’a déjà fait, mais on ne va pas leur faire signer une charte non plus. Le cadre est identique pour tous les joueurs, qu’ils aient  ans ou  ans. Chacun a ses moments de liberté.

LE JEU

Ce qui a fait débat à l’automne, c’est le spectacle assez pauvre proposé par l’équipe de France. Etiez-vous d’accord ? L’exigence, je l’ai dit, elle est beaucoup plus élevée, l’attente aussi. Après, l’un va à l’encontre de l’autre : si depuis l’Euro, dix joueurs ont été incorporés, ça ne peut pas se faire un claquant des doigts. Ou alors je garde les mêmes mais je ne l’ai jamais fait. On n’a pas tout maîtrisé mais je le reconnais. On

n’a pas fait que des bons matchs.

Est-ce possible d’imposer une identité de jeu en sélection ? Identité, c’est un bien grand mot. Aujourd’hui, seule une équipe en a une, c’est l’Espagne. Vous trouvez que l’Allemagne a une identité de jeu ? Elle est performant­e, gagne. Je l’ai vue à l’Euro. L’été dernier, lors de la coupe des Confédérat­ions, elle n’avait ni les mêmes joueurs, ni les mêmes principes. Déjà, elle jouait à trois derrière et misait surtout sur le contre. Elle a gagné la finale contre le Chili qui l’a dominée et a plus eu le ballon. Mais elle a gagné.

LA PSYCHOLOGI­E

A quoi ressemble une causerie de Didier Deschamps ? Courte car je sais que l’autonomie en face est limitée. Je ne crie pas mais au-delà du ton, de l’utilisatio­n des mots, indépendam­ment de l’aspect purement terrain, défensif, offensif, je prends deux-trois angles par rapport à l’adversaire, au contexte. C’est quelque chose qui m’a toujours intéressé.

Vous intéressez-vous à la psychologi­e ? Oui depuis que je suis joueur.

Lisez-vous ? Pas mal. Peut-être pas quotidienn­ement mais j’arrive bientôt à un demi-siècle (il aura  ans en octobre prochain, ndlr), donc j’en ai lu pas mal. Je suis dedans aussi. La seule chose que je sais est que je ne sais pas. Je ne me lève pas le matin en me disant que j’ai la vérité. J’apprends encore et pas forcément de gens plus expériment­és que moi. Des choses, dans d’autres sports aussi, peuvent m’interpelle­r. Je réfléchis beaucoup.

Hugo Lloris va honorer sa e sélection en Russie. Il n’y a jamais eu débat dans votre esprit autour du capitanat ? Il a un leadership naturel, reconnu en interne. Ce n’est pas un grand expansif, un gueulard. Quand il a quelque chose à dire, il le dit avec ses mots. On ne va pas rentrer dans le débat de la spécificit­é du poste, du fait qu’il s’échauffe avant. Il l’a toujours fait, il le fait bien avec ses qualités.

Ils (les jeunes) ont intérêt à m’écouter”

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SON ROLE DE SELECTIONN­EUR LA COUPE DU MONDE  L’EURO 
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Kimpembe, Lemar, Rabiot : une nouvelle génération sur laquelle Deschamps s’appuie déjà.
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