Ces dauphins que les pompiers veulent sauver
Menton, 8 octobre dernier, 16 h 30. Une agitation inhabituelle s’empare de la plage du Casino. Les secouristes interviennent pour une urgence. Mais pas pour un nageur. La victime du jour est un dauphin, blessé à l’aileron et au flanc, qui lutte pour sa survie au bord du rivage mentonnais. L’afflux de badauds est inévitable. L’intervention des sapeurs-pompiers aussi. D’abord, établir un périmètre de sécurité. Ensuite, soigner l’animal. Enfin, l’emmener au large à bord d’un matelas gonflable, et lui offrir une seconde chance. Ouf : les blessures peuvent guérir naturellement. L’intervention est un succès. Mais les secouristes ne sont pas toujours ainsi récompensés de leurs efforts. « Les animaux, on vit avec eux, et ils participent à l’équilibre écologique. Alors quand on en sauve un, on est fier ! », sourit le capitaine Stéphane Augier, responsable départemental du Groupe de sauvetage animalier (GSA). Chef du Centre d’intervention et de secours (CIS) du Bar-sur-Loup, il pilote ce groupe de 24 équipiers, quasi tous volontaires, comptant au moins deux agents d’astreinte 24h/24. Leur champ d’action : Alpes-Maritimes, Var, Alpes-deHaute-Provence et Monaco (toujours en renfort des pompiers locaux). Leur QG : la caserne du Bar-surLoup, pionnière dans la collaboration pompiers-vétérinaires. Alors certes, le littoral n’est pas la porte à côté. « Mais si l’animal est capable d’attendre les secours pendant une demi-heure à une heure, c’est qu’on est certain de pouvoir le remettre à l’eau », assure le colonel Véronique Vienet, vétérinaire départemental du Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) 06.
Alerte sur le littoral
Ces derniers mois, pompiers et vétérinaires ont fait face à une situation inhabituelle sur le front maritime. «On n’avait jamais fait autant de sauvetages de dauphins que cette saison. Il y a eu une recrudescence », témoigne le captaine Augier. Cagnes-sur-mer en janvier 2017, Mandelieu en mai, Antibes en août, Menton en octobre : à quatre reprises au cours de la même année, les secours sont intervenus pour des cétacés vivants. Fait rare. Les chiffres sont éloquents. Les AlpesMaritimes ont recensé 175 échouages de cétacés depuis 2003. Soit une douzaine par an. Or il y en a eu 16 en 2017, avec une accélération notable au cours du quatrième trimestre : 11, dont 6 pour le seul mois d’octobre. Et 7 nouveaux cas en 2018... Soit 18 en six mois. « Là, ce n’est pas normal », atteste le colonel Vienet. Parler d’avis de tempête serait exagéré. Mais l’appel à la vigilance est de rigueur. Car un mal profond sévirait chez les dauphins : le morbillivirus. « Une maladie virale spécifique aux cétacés, similaire à la maladie de Carré chez le chien. Elle entraîne lésions pulmonaires, lésions nerveuses, gastroentérite, diagnostique le colonel Vienet. Cela pourrait expliquer que certains soient désorientés. » À l’image de ce vieux mâle repéré à Antibes en août dernier. Le malheureux, yeux mi-clos, ne parvenait plus à quitter la surface. « Compte tenu de ses importantes lésions pulmonaires, on a fortement soupçonné le morbillivirus ». Faut-il s’en alarmer ? Non, estiment les spécialistes des cétacés. « Ce sont des mammifères, comme nous. D’où la transmission de maladies, qui permettent aussi de réguler l’espèce », relativise Véronique Vienet. Ces épidémies reviennent à intervalles réguliers (19901992, 2003, 2007-2008, 2017-18). Tout comme la grippe sévit plus ou moins sévèrement, selon les hivers, chez les bipèdes... À ceci près qu’un vaccin est difficilement envisageable pour nos cousins marins. Et que les cau-
Les animaux, on vit avec eux. Alors quand on en sauve un, on est fier ! ”
Un périmètre de sécurité est vital pour lui ”
ses de mortalité sont multiples. En témoigne ce dauphin échoué dans l’eau saûmatre à Mandelieu, en mai 2017, après avoir remonté la Siagne sur deux-cents mètres. Peutêtre avait-il été attiré par la nourriture de promeneurs, pense le colonel Vienet. « Quand l’occasion se présente de bien manger, cela prime sur tout. Quelque part, leur vie, c’est de la survie ! » Or cette vie est sérieusement compromise quand un cétacé vient à s’aventurer trop près du monde terrestre. « Ces animaux s’orientent grâce à leur sonar, sorte de GPS, résume Véronique Vienet. Quand ils sont trop près du bord, il n’y a plus assez de fond pour recueillir ces échos. Du coup, le dauphin est complètement désorienté. Il faut alors l’emmener loin, à un ou deux miles du bord. » C’est là qu’intervient le Groupe de sauvetage animalier. Au Bar-sur-Loup, le captaine Augier ouvre les portes de son fourgon « boîte à outils », équipé aussi bien pour secourir les cétacés que les équidés, cervidés, rapaces ou reptiles. A l’intérieur, l’équipement de protection individuel (EPI ) permet aux pompiers de se vêtir à la mode « experts », en tenues blanches intégrales pour se prémunir des maladies. Leur rescue, plateforme gonflable en trente secondes, permet d’emmener l’animal au large ou d’évacuer un dauphin mort. Le matelas à dépression - civière dégonflable permet aussi de récupérer un dauphin vivant. Quant au filet blanc, il peut être tendu entre deux canots pneumatiques pour orienter l’animal vers le large. Les pompiers du GSA ont même aménagé un bac d’1,50 m, pouvant accueillir un petit dauphin.
Les leçons du baleineau
La limite de l’exercice : impossible d’évacuer un cétacé pour le soigner. « Les Alpes-Maritimes ne disposent pas de structure d’accueil - Marineland n’est pas autorisé à accueilir les dauphins sauvages, remarque le colonel Vienet. En outre, la captivité risque de générer un stress supplémentaire chez ces animaux sauvages... et d’aggraver leur cas. » Priorité en toute circonstance : établir un périmètre de sécurité d’une cinquantaine de mètres. « Indispensable si on veut laisser une chance de survie au dauphin », alerte Stéphane Augier. Un triste épisode reste dans toutes les mémoires : le sauvetage avorté de Désiré, ce baleineau de l’été 2007 en perdition au large de nos côtes. « Je l’ai mal vécu », confie le colonel Vienet. Echoué à Saint-Aygulf, ce bébé géant (7,5 mètres de long, 7 tonnes) avait paniqué, face à la foule massée autour de lui. Quatre pompiers furent blessés, dont Véronique Vienet. «Ce jour-là, il aurait pu y avoir des morts !» Et le baleineau s’en est retourné au large, épuisé et promis à une funeste issue. Certes, « il n’était pas sauvable », estime la vétérinaire. « Mais après l’épisode du baleineau, avec Mike Ridell, on s’est dit qu’on devait intervenir dans les règles de l’art. » Ainsi est né, le 1er janvier 2008, le Groupe de sauvetage animalier du Sdis 06. Depuis, un autre baleineau s’est retrouvé en difficulté au port de Nice, en 2009. Celui-ci est parvenu à s’en extraire de lui-même. Mais plusieurs dauphins doivent la vie sauve au GSA. Une belle récompense pour ces pompiers qui « travaillent en équipe, dans des conditions parfois difficiles, dans une eau à10°C» , témoigne leur chef. Les cétacés en sont-ils conscients ? Stéphane Augier en est convaincu. «Il est arrivé qu’un dauphin fasse le tour des embarcations avant de repartir. Quel intérêt, sinon de nous témoigner sa reconnaissance ? »