“L’intervention à Notre-Damedes-Landes a un effet mobilisateur”
Le géographe Jérôme Pelenc estime que l’intervention sur la ZAD illustre la crainte des politiques face à l’émergence de nouveaux modes de production et de consommation
Comment expliquer que l’abandon du projet de NDDL n’ait pas apaisé les tensions ?
Ce qui se passe aujourd’hui illustre à mon sens deux choses : la première, c’est que l’abandon du projet relevait plus pour ce gouvernement d’une opportunité politique que d’une réelle vision écologiste. La deuxième, c’est qu’au moment de l’après-projet, les tensions se sont nouées autour d’une vision du développement territorial. Le fait que la ZAD devienne une zone d’expérimentation agroécologique, avec l’accent mis sur des initiatives collectives, et non individuelles, a aussi pu effrayer le gouvernement car il s’agit clairement de nouveaux schémas économiques, à l’opposé de l’agrandissement des exploitations, du productivisme, et de la concurrence induits par le système capitaliste.
« En réagissant de façon violente, la classe politique a démontré qu’elle était consciente de la force émancipatrice de ces combats », écrivez-vous. Il s’agirait donc de museler l’émergence d’un mouvement politique lié à la défense de l’environnement ? L’enjeu politique est clairement d’empêcher l’existence d’une zone d’expérimentation. Ce qui se jouait dans la ZAD est à l’opposé de ce que véhicule le système néolibéral. C’est d’ailleurs étonnant : on assiste là à l’expérimentation d’une vraie transition écologique et solidaire, celle-là même que le gouvernement voudrait nous vendre mais qu’il fait détruire par les forces de l’ordre.
NDDL est l’incarnation de ce que vous appelez les « Grands projets inutiles et imposés » ou GPII. Pouvez-vous définir ce qu’est un GPII ? Les GPII incarnent un paradoxe : d’un côté, on nous sensibilise aux problématiques écologiques, au réchauffement climatique, et de l’autre on continue comme avant en multipliant les projets… Qu’il s’agisse de transports, comme une ligne à grande vitesse, d’élevages géants, de stockage de déchets, comme à Bure, ou de mines, ces projets ont ceci de commun que, alors qu’on nous les présente comme étant d’intérêt général et de nature à améliorer notre qualité de vie, ils ne font que renforcer la destruction des territoires vivants.
L’action des opposants aux GPII et celle du gouvernement illustreraient selon vous «deux conceptions différentes de l’intérêt général »... En effet, on a l’impression que les politiques néo-libérales ne vont pas dans le sens de l’intérêt général mais servent plutôt à favoriser quelques-uns. Alors que les luttes localisées permettent justement de formuler des propositions d’intérêt général. C’est l’illustration de la maxime « Penser global, agir local. » A cet égard, l’expérience de la ZAD était porteuse et démontrait qu’on pouvait faire autrement. C’est sans doute ce qui effraie. Quel impact cette intervention policière peut-elle avoir sur le mouvement contre les GPII ? On constate une convergence des acteurs, une solidarité qui émerge. Les Zadistes ont reçu le soutien de personnalités comme Naomi Klein ou celui de la délégation Europe Ecologie au Parlement européen. J’ai la sensation que l’intervention a un effet mobilisateur.
Comment faire pour que ces mouvements ne soient plus parasités par des activistes radicaux, qui semblent ne pas avoir d’autre but que d’affronter les forces de l’ordre ? Je ne porterai pas de jugement làdessus. Le fait de montrer du doigt ces soi-disant radicaux, c’est peutêtre aussi une forme d’instrumentalisation destinée à fragiliser le mouvement en le divisant.
Membre du collectif « Des plumes dans le goudron », Jérôme Pellenc, chercheur à l’Université libre de Bruxelles, signe un ouvrage sur « les grands projets inutiles et imposés » intitulé « Résister aux grands projets inutiles et imposés », paru aux éditions Textuels, 155 pages, 15,90 €