Var-Matin (Grand Toulon)

Quand Vladimir Nabokov résidait dans le Var

L’écrivain russe, l’un des plus grands de sa génération, a vécu à Sollies-Pont, le temps des cerises. Selon Louis Béroud, historien, l’auteur de Lolita en gardera le souvenir jusqu’à la fin de sa vie

- LOUIS BÉROUD

Vladimir Nabokov est un écrivain considéré comme le plus grand espoir de sa génération. Son oeuvre conserve, de la tradition russe, le sens de l’absurde et de la dérision (La vraie vie de Sébastien Knight, 1941). Elle unit la peinture des vices à la descriptio­n des obsessions et du ridicule de la société (Lolita, 1955 ; Ada ou l’Ardeur, 1969 ; l’Enchanteur, 1986). Elle apporte aussi une réflexion sur cette façon de fixer le passé dans la mémoire ambiguë de l’écriture (Feu pâle, 1962). De sa naissance à Saint-Petersbour­g en avril 1899 à son émigration aux ÉtatsUnis en mai 1940 pour échapper aux nazis, Vladimir Nabokov est imprégné de culture russe. D’abord par une enfance dorée dans de riches propriétés coupées du monde réel. Ensuite par les échos tumultueux du cours de l’histoire. Puis par l’exil, auquel la terreur instaurée par Lénine contraint la famille Nabokov. Et, enfin, la découverte des milieux émigrés à Berlin, puis à Paris. Nabokov a une autre passion que l’écriture : la capture et l’élevage des papillons. C’est cette passion qu’il est venu vivre en 1923 à Solliès-Pont. Il est arrivé au début du mois de juin. Il a trouvé un gîte dans un bâtiment du domaine de Beaulieu. Il s’est plie d’emblée à la routine immuable de l’exploitati­on : lever à six heures pour aller travailler dans les champs avec les ouvriers agricoles, pour la plupart de jeunes Italiens. Le midi, il a partagé avec eux le vin du pays avant d’aller se baigner dans le Gapeau, se réchauffer au soleil et se remettre au travail.

La récolte des cerises

À peine arrivé à Solliès-Pont, Vladimir Nabokov est invité à la récolte des cerises. « La cueillette des cerises, écrit-il, c’est un art. La première fois que je m’y suis mis, je faisais du travail rapide. Je choisissai­s les fruits murs et les déposais dans un panier entouré de toile huilée. Je l’avais accroché à une branche. Il se détacha et toute ma récolte fut gâchée. Je n’avais plus qu’à recommence­r ». Nabokov aime particuliè­rement les cerisiers du plateau des Pourraques, sur la commune de Solliès-Toucas. Puis, est venue la saison des abricots et des pêches. Le temps du désherbage, de la culture des champs de maïs, du taillage des jeunes plants de pommiers et de poiriers. La tâche que préfère Vladimir Nabokov, c’est irriguer les plantation­s. Il plaque souvent son travail pour courir à la poursuite d’un papillon. Un jour où il est épuisé de fatigue, un Anglais descend de sa Victoria, un filet à papillons à la main. Il lui demande de surveiller sa voiture tandis qu’il tente de s’emparer d’un machaon, volant dans les branches d’un figuier. L’Anglais est intrigué par ce paysan ébouriffé, aussi mal vêtu qu’un mendiant. La nuit, Nabokov dort, lui l’aristocrat­e de Russie, parmi les ouvriers du domaine… Mais il a besoin de silence pour écrire. À la fin juin, il obtient d’être logé dans une chambre isolée où il achève un drame en vers, Diédouchka. À la mi-août, Nabokov met le cap sur Berlin, après avoir fait une escale à Nice. Il ne reviendra jamais à Solliès-Pont, mais sa passion pour les papillons ne le quittera pas. À la veille de sa mort, à Montreux, en 1977, il confie à ses proches : « J’ai aimé la France. J’ai aimé la Provence. Et j’ai aimé Solliès-Pont ».

 ?? (Photo DR) ?? Vladimir Nabokov.
(Photo DR) Vladimir Nabokov.

Newspapers in French

Newspapers from France