Var-Matin (Grand Toulon)

Un jeu sans l’ombre d’un gagnant est-il une arnaque ?

Cinq membres d’une famille de La Seyne doivent répondre de soupçons d’escroqueri­e, dont les gains friseraien­t le million d’euros. Les numéros surtaxés n’étaient gagnants… que pour eux

- SO. B. sbonnin@varmatin.com

Ils sont trois, la mine grave – deux frères et une soeur. Trois autour de leur père. À défendre la petite entreprise familiale qui les a fait vivre pendant quelques années, sans connaître de crise, si ce n’est judiciaire. Cinq membres d’une même famille, d’un même clan, ont comparu vendredi (13 !) devant le tribunal correction­nel de Toulon, pour des soupçons d’escroqueri­e en bande organisée. La justice rendra sa décision dans un mois. Il y a Michel L. M., le patriarche seynois de 63 ans, qui qualifie son business, «de système marketing». Les appels téléphoniq­ues surtaxés, « c’est l’offre et la demande», justifie-t-il, tout de go, pas plus choquant que de jouer au loto.

« Mais au loto, des gens gagnent ! »

Le tribunal manque de s’étrangler : « Mais au loto, il y a des gens qui gagnent, vraiment !» Au contraire, «avec les jeux que vous organisez, le seul gagnant, c’est vous ! » Personne n’a jamais gagné sur le serveur vocal de Michel. Malgré des années de démarchage téléphoniq­ue, pour inciter « des pigeons » à rappeler. Et bien sûr, les numéros étaient surtaxés (lire ci-contre le mécanisme des appels). À la barre, il y a les deux fils de Michel, qui minimisent à fond. Sébastien, 37 ans, se dit «bête et discipliné», cantonné à la conception de sites Internet. Yann, 41 ans, qui « n’y connaît rien», et pour cause, il est mécanicien. Il y a enfin Julie, 35 ans, celle qui répond aux questions du tribunal le plus franchemen­t. « C’était un jeu pour générer du trafic », lâche-t-elle. Du trafic, c’est-àdire le plus grand nombre d’appels possibles. « Le père et la fille, les deux têtes pensantes. Elle, c’est la calculette », qualifie le ministère public qui a requis à leur encontre les peines les plus lourdes. Quatre ans de prison (pour elle) et cinq ans (pour lui) assortis de sursis, ainsi que de 90000 à 100000 euros d’amende. Il y a aussi ce neveu qui « a été pris sous l’aile de son oncle »etqui « a confiance en [sa] famille », jusqu’à signer les comptes annuels « aveuglémen­t ». Pour ce rôle de gérant de paille, trois ans avec sursis sont requis.

« Une famille dynamique »

La défense se dit « abasourdie » par le niveau des peines demandées. Elle voit au contraire dans ce tableau «une famille dynamique, qui fait fructifier les talents de chacun ». Et la myriade de sociétés gérées « ne fait pas une bande organisée ». Sur le fond, Me Olivier Avramo estime que « même indélicate sur le plan moral, la prospectio­n téléphoniq­ue n’est pas une manoeuvre». Et ne relève pas de l’escroqueri­e. Le particulie­r qui a rappelé le numéro et qui est resté en ligne « a fait un choix libre et éclairé ». Que le jeu ne puisse avoir aucun gagnant ne serait pas un obstacle. « Quel est le texte qui m’interdit de faire un jeu où je perds tout le temps ? », risque-t-il.

Gains surestimés ?

Le défenseur estime que les sommes en jeu – autour du million d’euros selon l’enquête – sont largement « erronées »: « Tout le chiffre d’affaires ne doit pas être assimilé à de l’escroqueri­e», s’exclame l’avocat. Finalement, dans une dernière pique, « peut-être seule la police a eu un préjudice » : un enquêteur a écouté en entier le texte pré-enregistré qui expose le règlement du jeu. Un long appel surtaxé de vingt-trois minutes. Pour entendre le jugement du tribunal, il faudra attendre un mois, sans message vocal.

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(Photo d’illustrati­on Var-matin)

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