AquoijoueKim?
Que pouvait-il bien y avoir dans la tête de Kim Jong-un, ce avril, au moment où d’un pas lourd et résolu – un petit pas pour l’homme, un pas de géant pour le sous-continent asiatique – il accomplissait ce geste inouï, impensable il y a quelques mois encore : passer de l’autre côté du rideau de bambou. Franchir la frontière entre les deux Corées pour se livrer, avec son homologue du Sud, le président Moon, à cette incroyable chorégraphie sur le e parallèle. Comme s’il s’agissait d’effacer de leurs pieds une des dernières traces de la Guerre froide à la surface du globe. Oui, quels calculs, quelles arrière-pensées, quels deuils peut-être, se cachaient derrière le sourire qui, par instants, semblait se figer sur la large face de Kim e du nom, pittoresque rejeton de la dynastie de fer qui, depuis ans, règne sur un pays qu’elle a comme soustrait au monde. Il faudra du temps, et des actes concrets, pour donner corps à ce qui n’est encore que promesses et déclarations d’intention. Il n’empêche. Cette rencontre constitue en elle-même un acte d’une portée symbolique et historique considérable – comparable à l’accolade de Gaulle-Adenauer de . Et les « objectifs » affichés dans la déclaration conjointe des deux parties – « dénucléarisation totale » de la péninsule, établissement d’un « régime de paix permanent et solide », « réunion des familles séparées » – signent bel et bien l’ouverture d’une ère nouvelle. Ils enclenchent une logique irréversible, dont on ne peut prévoir jusqu’où elle peut conduire. Et pourquoi pas jusqu’à la réunification, dont Kim Jong-un a ouvertement évoqué l’hypothèse « dans l’avenir » ? Pour Washington, c’est la politique de Trump qui a porté ses fruits. La fermeté a payé. Face aux sanctions économiques et aux menaces militaires, Little Rocket Man a été obligé de plier. La réalité est sans doute différente. Panmunjom n’est pas Canossa, et Kim ne s’est pas présenté en repentant au sommet des deux Corées. Pas plus qu’il n’a le sentiment de s’humilier en rencontrant bientôt Donald Trump. Bien au contraire. Avec l’arme atomique, il s’est doté d’une assurance vie mettant son régime à l’abri de la menace américaine et s’estime suffisamment solide pour prendre le risque de l’ouverture. Dialoguer avec Séoul d’accord, et même discuter avec Washington, mais avec un revolver armé sur la table. Plutôt que comme un repenti, ou un demi-fou que les pressions américaines auraient ramené à la raison, il faut voir Kim comme un homme rationnel, bien mieux informé qu’on ne le croit sur la marche du monde, et qui fait le pari que, pour se perpétuer, son régime va devoir s’adapter et s’engager sur la voie du développement économique. Changer pour que tout continue. Sur le modèle du grand voisin chinois. Pas dingue, non. Plutôt Deng (Xiaoping).
« Pour Washington, c’est la politique de Trump qui a porté ses fruits. »