« On ne peut plus faire de féminisme bourgeois »
La leader varoise du cercle féministe Groupe F., la photographe Natalia Kovachevski, s’est opposée publiquement à la loi contre les violences sexuelles. Entretien entre deux rendez-vous toulonnais
Elles sont provocatrices et en sont fières. Le 11 novembre, les membres du Groupe F. se sont associés en réaction à l’acquittement d’un homme de 30 ans, jugé pour viol sur une mineure de 11 ans (décision de la cour d’assises de Seineet-Marne). Six mois plus tard, l’alliance féministe menée par Caroline De Haas interpellait Emmanuel Macron, à travers une campagne musclée en ligne, via la diffusion de vidéos accompagnées de mots clés comme «le viol est un crime ». Objectif visé : le retrait de l’article 2 du projet de loi contre les violences sexuelles, examiné et voté le 17 mai par l’Assemblée nationale. L’artiste photographe Natalia Kovachevski, résidant au Lavandou, faisait partie des 250 signataires. Votre position contre la loi Schiappa est-elle inchangée ? Oui, et on ne va rien lâcher. L’article (du texte de loi, Ndlr) ouvre la voie de la déqualification du viol. À l’arrivée, c’est ce qui va se passer. Pour le coup, Marlène Schiappa (secrétaire d’État chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes) est en marche… arrière. J’espère qu’elle va se remettre en question, car sa réponse est insuffisante.
La loi introduit un nouveau délit d’atteinte sexuelle avec pénétration. C’est davantage de protection ? Beaucoup de députés En Marche ! essaient de nous vendre que ça va être mieux, ce qui est un nonsens. Ce nouveau délit, pour nous, c’est un viol requalifié. Même une enfant de ans comprend très bien que ce qu’on appelle « atteinte sexuelle avec pénétration » est ni plus ni moins un viol.
Vous êtes aussi modèle photo, portée sur nu artistique. Avez-vous subi ces épreuves dans votre profession ? Oui, le milieu de la photo m’a déjà beaucoup choquée. J’ai moi-même déposé une plainte en , en tant que modèle, pour tentative d’agression sexuelle. Je me suis rendu compte que dans le milieu tout le monde savait la réputation de mon agresseur.
Avez-vous déjà été reconnue victime ? J’ai dû me battre. Les policiers m’ont même demandé si je ne l’avais pas cherché. Le lendemain, on m’a informé que l’affaire était classée sans suite. Ensuite, on m’a tapé sur les doigts d’un rappel à la loi pour atteinte à sa vie privée, parce que j’avais publié sur Facebook. C’est pour ça que ça me tient à coeur aujourd’hui.
BalanceTonPorc, MeeToo… Que penser de la prise de conscience collective ? Lutter contre les inégalités et les violences, c’est juste normal. C’est bien que les consciences s’éveillent, on ne peut plus faire semblant. Les femmes sont surreprésentées dans les musées, or elles ne représentent que % des auteurs. Et seules dix-neuf femmes figurent dans le classement des cinq cents artistes les mieux payés au monde.
Votre mouvement se déploie en majorité sur Internet. Comment convertir localement l’adhésion à la cause féministe ? Ici, c’est plus délicat pour fidéliser. Malgré l’impact du mouvement, nous ne sommes que huit membres actifs, en majorité à Toulon. Et, à la dernière journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, le novembre, nous n’étions qu’une vingtaine à manifester place de la Liberté. En comparaison, notre communauté web compte des milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux ( sur Facebook, sur Twitter, Ndlr). Pourtant, c’est essentiel : j’ai cherché des groupes féministes et je n’ai toujours rien trouvé ! Quelles sont vos mobilisations dans le Var? À la base, on est un groupe d’action. Nous cherchons à regrouper les gens qui ont envie de s’informer, mais aussi identifier des victimes, leur dire comment réagir ou libérer la parole, au cours de nos réunions mensuelles à Toulon. De nombreuses victimes de violences conjugales, scolaire (sexiste ou raciste) sont venues assister à la première réunion. Moi-même j’avais des choses à raconter.
À propos du harcèlement de rue? Oui, car je traverse le Var à pieds, avec ma fille. Une fois, on a été suivies sur la place de la Liberté, en pleine journée. Ce genre de choses, ça arrive un peu partout.
Dénoncer localement est donc primordial ? Oui, cette libération de la parole est essentielle. Le novembre, notre banderole sur le viol de mineur avait fait réagir des jeunes filles dans la rue, qui étaient venues nous voir spontanément. Bien souvent, des femmes victimes d’un maximum de discriminations, sociale, raciale ou liées au handicap… J’espère qu’elles nous rejoindront plus tard, qu’on pourra toucher plus de monde. On ne peut pas faire du féminisme bourgeois aujourd’hui.
Groupe F. au 136 rue Jean-Maissin à Toulon. Samedi 2 juin, à 11 h place de la Liberté à Toulon. Page Facebook : Groupe F. Toulon.