Var-Matin (Grand Toulon)

«J’étais condamné à réussir»

Alors que Mourad Boudjellal semble lui chercher activement un remplaçant, Fabien Galthié n’a pas encore fait le deuil de Toulon... Dans l’attente d’en savoir plus, il n’a encore renoncé à rien

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE BERSIA

Fabien Galthié ne vit pas dans un monde de bisounours. A 49 ans passés, il connaît trop bien le rugby, ses excès et même parfois ses brutalités pour s’étonner de ce qui lui arrive aujourd’hui. Ou même s’en offusquer... Désormais sur la sellette, alors que samedi encore, il se projetait en rouge et noir l’an prochain pour aller au bout de son contrat et de son projet, le voilà dans une position d’attente très inconforta­ble. Communicat­ion rompue avec son président, officielle­ment en « déplacemen­t quatre jours pour réfléchir », sans doute en pleine recherche d’un remplaçant ou d’une solution alternativ­e pour relancer Toulon. Dans l’attente d’une discussion franche avec Mourad Boudjellal, l’ancien demi de mêlée et capitaine de l’équipe de France affiche une relative sérénité. Reconnaît un échec sur la forme, refuse celui sur le fond, mais globalemen­t ne regrette rien. Joint au téléphone alors qu’il faisait hier un aller-retour à Paris, Fabien Galthié a fait pour nous un nouveau point sur la situation. Mais n’est jamais apparu abattu ou déçu par le changement d’humeur de son président. Dans son for intérieur, il se savait déjà depuis longtemps «condamné à gagner »...

Où en êtes-vous avec Mourad Boudjellal aujourd’hui ? Je n’ai pas eu d’échange avec lui depuis samedi où on s’est parlé trois fois. C’était plutôt des discussion­s constructi­ves pour l’année prochaine. Lundi, avec mon staff, on était une vingtaine et Mourad est venu. Il est intervenu au moment où le staff remerciait chacun pour sa collaborat­ion. En résumé, il a dit qu’il était déçu par son staff, voilà.

Vous avez été surpris ? Oui, ça a tourné totalement.

On vous reprochera­it notamment des problèmes relationne­ls avec le vestiaire. C’est un faux procès ? Je n’ai absolument pas de problème avec le vestiaire.

Avez-vous un sentiment d’injustice par rapport à votre investisse­ment ? Non. Ilyalefond­etla forme. La forme, c’est deux défaites en quart de finale. Effectivem­ent, quand tu perds deux quarts de finale, tu as un sentiment d’échec par rapport à la mission du club et l’ambition de Mourad. Après, sur le fond, ce sont deux scénarios où, à chaque fois, on lâche des ballons dans l’enbut... Si on les met, il n’y a plus de match, mais ça fait partie du jeu.

Il y a eu beaucoup d’aléas contraires cette saison. Vous les expliquez comment ? Je n’aime pas trop parler des aléas, mais c’est vrai que sur ces deux matches, qui sont déterminan­ts, malheureus­ement, on va dire que le ballon n’a pas tourné en notre faveur...

Vous avez découvert la parano toulonnais­e. Estelle justifiée ? Là aussi, j’ai du mal... Mais c’est vrai que par moments, on a pu se demander s’il n’y avait pas parfois la petite décision qui allait contre nous. Il ne faut pas tomber là-dedans, mais c’est vrai que par moments... Je ne dirais pas qu’on a ressenti une injustice. Parlons juste de

malchance.

Avez-vous déjà vécu des saisons aussi noires et négatives ?

Par rapport au nombre d’aléas cumulés, non. Sur la forme, effectivem­ent, c’était négatif parce qu’on a perdu ces deux quarts de finale. Après, sur le fond, je ne dirai pas ça, parce que l’équipe a évolué de manière très positive. Sur la deuxième partie du championna­t, on a à la fois la meilleure attaque et la deuxième meilleure défense. À partir du mois de décembre, toutes les équipes qui sont venues à Mayol ont encaissé cinq ou six essais, sauf Lyon qui a fait match nul. Mais on sentait bien que l’équipe montait en puissance et que la constructi­on de ce nouveau jeu, autant défensif qu’offensif, prenait forme...

Mourad vous avait accordé du temps, et d’un coup, il semble vouloir vous le retirer. C’est le jeu ? Quand j’ai signé à Toulon, je connaissai­s les risques, voire les dangers. Mais le challenge m’intéressai­t. Même si Mourad m’avait dit plusieurs fois que même si on ne se qualifiait pas, car c’était une année de transition, ce n’était pas dramatique, qu’on était dans un nouveau tempo, je sentais au fond qu’il y avait une forme de pression qu’il se mettait et qu’il mettait. Au fond de moi, je sentais que j’étais condamné à ce que l’équipe vive une épopée. Déjà, on ne pouvait pas ne pas se qualifier. C’était impossible, malgré tout ce qu’il disait, et c’était impossible qu’on ne performe pas à un moment donné. Je pense que j’étais condamné à ce que l’équipe aille en finale ou gagne un titre. J’en avais le sentiment et même l’intime conviction. Et c’est ce challenge qui m’excitait aussi, et il ne me faisait pas peur... Vous vous sentez encore assez fort pour repartir sur une saison dans ces conditions ? Aujourd’hui, je ne sais pas du tout ce qu’il se passe. J’entends des choses mais je n’ai pas du tout de contact avec Mourad. On s’est vu à la garden-party .Il a fait un discours, j’ai parlé derrière lui. Oui, je suis costaud. Je sais qu’on avait la possibilit­é de réussir aussi, c’est pour ça que le challenge m’intéressai­t. Sur la fin, sur les deux derniers mois, je sentais qu’on pouvait réussir une épopée. Ça a été difficile à mettre en route du fait des nombreux turnover, de l’arrivée tardive de joueurs et de l’apprentiss­age de la connaissan­ce de chacun. Mais étape après étape, l’équipe jouait mieux, notamment après le stage au ski qui a fait beaucoup de bien à tout le monde. Je sentais qu’on montait en puissance et je pensais fermement, que ce soit au Munster ou en quart contre Lyon, qu’on avait le potentiel pour réussir une belle épopée. Malheureus­ement, on a lâché trois ballons...

Vous avez trouvé la cause de cette fragilité mentale ? Non. Je ne sais pas pourquoi le meilleur marqueur du championna­t lâche deux fois le ballon dans l’en-but. Je ne sais pas pourquoi Semi Radradra lâche aussi le ballon. Je ne sais pas. Pareil au Munster...

Êtes-vous toujours solidaire de votre staff ? Bien sûr. Cela a été un régal de travailler avec eux. Ça a été un peu long à mettre en oeuvre. Il fallait apprendre à se connaître, mais ça allait de mieux en mieux. On a passé une année de travail, de labeur, très difficile au début, mais très agréable dans la constructi­on.

Personne ne semble aujourd’hui à l’abri et vos adjoints chercherai­ent d’ailleurs déjà un autre club ? Ce sont des bruits qui courent, effectivem­ent. Pour vous, c’est juste une période compliquée de la vie profession­nelle ? Je savais qu’en venant ici, je m’exposais à ce type de mésaventur­e. Et je savais, je me répète, que j’étais condamné, moi en premier, pas les joueurs, pas l’environnem­ent... Le challenge m’intéressai­t, m’excitait. Je me suis régalé.

Quoiqu’il arrive ces joursci, aurez-vous des regrets ? Non. J’ai découvert une ferveur, une passion, que je n’avais jamais connue avant. Je me suis régalé dans la constructi­on offensive et défensive de l’équipe. J’ai découvert des joueurs, vraiment je me suis régalé. Même si Mourad ne me l’avait pas dit, au fond je savais que ce n’était pas possible de réussir sans une épopée. C’était la seule issue favorable me concernant, et moi, plus que tout autre membre du club...

C’est sur vous qu’il avait capitalisé, et vous qui le faisiez rêver ? Moi plus que tout autre parmi les  salariés. Et plus que ça, je pense qu’il a rêvé. On a touché du doigt ce qu’on était capable de faire quand on a mis  points à Castres,  à Clermont. À partir du mois de décembre, toutes les équipes qui venaient à Mayol prenaient entre  et  points. Il a touché du doigt quelque chose, et il s’est mis à rêver, comme beaucoup de monde.

Comment débloquer cette situation ? Je pense que c’est Mourad qui a les clefs. Il y a beaucoup de choses à faire en ce moment mais moi, je n’ai pas le tempo. Je suis là, à Toulon. Mes enfants vont terminer l’année scolaire et je ne suis même pas sûr d’en partir quoi qu’il arrive, parce que j’avais prévu de passer deux ans ici.

Vous êtes aujourd’hui à Paris pour vous oxygéner ? Oui, je continue à vivre. Je reste Toulonnais mais je continue à vivre.

Quand j’ai signé, je connaissai­s les risques, voire les dangers” Mourad a touché du doigt un truc et il s’est mis à rêver”

 ?? (Photo Frank Muller) ?? La belle entente Galthié-Boudjellal a duré. Présenté en juin dernier par Mourad comme l’homme providenti­el du RCT, Fabien ne serait déjà plus l’homme de la situation. Son avenir toulonnais est en suspens.
(Photo Frank Muller) La belle entente Galthié-Boudjellal a duré. Présenté en juin dernier par Mourad comme l’homme providenti­el du RCT, Fabien ne serait déjà plus l’homme de la situation. Son avenir toulonnais est en suspens.
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