Mâles alpha
Entre ces deux-là, on s’en souvient, tout a commencé par une bataille de poignes, gagnée de haute lutte par Emmanuel Macron. Scène inouïe, tout droit sortie d’un polar de série B, où deux chefs d’Etat jouaient les durs et se broyaient mutuellement les phalanges jusqu’à ce qu’un des deux – ce fut Trump – finisse par craquer. Duel d’égos hautement politique, par lequel le président français entendait signifier à son hôte qu’il n’était pas le seul mâle alpha dans la pièce. Et puis, toujours comme dans un film noir, après s’être jaugés, défiés, ils ont fait amiami. Plutôt, ils ont fait semblant. Ce fut le temps des embrassades et des caresses. Toute une parade amicale lourdement surjouée – qui n’abusa que les gogos (lesquels s’en offusquèrent). Macron, spéculant sur la vanité de son homologue, a-t-il cru pouvoir l’amadouer et l’amener à réviser sa position sur le climat ou l’Iran ? Disons qu’il a tenté le coup. Et ce fut un bide. Fini les mamours, donc. Retour au bras de fer. A l’ouverture du G – ou plutôt du G + , tant Donald Trump y est isolé –, la boîte à gifles est ouverte. Dans cette instance où le libreéchangisme a valeur d’évangile, la décision de Mr AmericaFirst de taxer les importations d’acier et d’aluminium est vécue comme une provocation. Une violation des règles du jeu. Une erreur économique funeste. Alors Macron prend la tête du club des six et lâche ses coups. «Peut-être que cela est égal au président américain d’être aujourd’hui isolé, mais nous, ça nous est égal aussi d’être à six si besoin était. » Six qui, ensemble, insiste-t-il, pèsent bien plus lourd que l’Amérique. Et si Trump persiste à ne rien vouloir entendre, qu’il se souvienne que « nul d’entre nous n’est immortel »… Depuis de Gaulle, on n’a pas souvenir d’un président français s’adressant sur ce ton au chef de la première puissance. Il est vrai que jamais les EtatsUnis n’avaient eu un tel énergumène à leur tête. Jamais la relation transatlantique n’a été aussi dégradée. Jamais on n’avait vu l’hyperpuissance américaine mépriser ainsi ses alliés, s’asseoir sur le multilatéralisme, et pis, s’employer à casser un à un les instruments de la gouvernance mondiale. De sorte que, dans son défi à l’Amérique, Macron a pour lui des atouts que de Gaulle n’avait pas : l’assentiment de ses pairs (Trudeau, Merkel, May) ; l’allergie que suscitent la personne et la politique de Trump à travers le monde. Cela fait-il le poids ? C’est toute l’affaire. Il ne suffit pas de dénoncer l’hégémonisme américain pour l’abattre, ni de refuser la « loi du plus fort » pour y échapper. Voyez comme PSA s’est dépêché de capituler devant le diktat américain, dans l’affaire de l’embargo contre l’Iran, sans même attendre l’issue des démarches engagées par la France et l’Europe. Groupés, les peuvent peser face à Trump. Divisés, ils n’ont aucune chance. C’est l’enjeu – et l’inconnue – de ce sommet de La Malbay : tester leur détermination. Voir si les leaders des principales puissances économiques hors USA sont prêts à faire bloc. Ou s’ils se planqueront au premier coup de semonce, laissant le président français partir seul la fleur au fusil.