Var-Matin (Grand Toulon)

Un roman en écriture

- RAPHAËL COIFFIER

Sa vie est un roman. Dont elle écrit depuis enfant chaque chapitre. D’abord sans les lettres. Mais avec l’être. Ce grand frère que le service militaire a éloigné. Loin. Si loin. En Afrique... À son retour, Marion s’est empressée d’agiter le drapeau à damiers. De lui coller au train. De peur qu’il ne reprenne le large. Elle s’en souvient mieux que de son premier doudou tant ces retrouvail­les furent le point de départ de sa trajectoir­e rêvée. « Il me disait d’aller jouer à la poupée. Moi, je voulais rester sur le canapé avec lui. À regarder tourner les voitures. » Tenace, la fillette assistera à la dernière victoire de Prost en grand prix. Sans, encore, en mesurer la portée. Sauf que l’essence de la F1 venait de s’immiscer dans ses veines. Derrière, les courses s’enchaînent. Avec, parfois, des drames. Comme la sortie de route mortelle de Senna. « Je n’avais encore jamais perdu quelqu’un et ça a été violent. Je me suis dit : “on peut mourir en direct”. Pour un enfant, c’est choquant... » La brunette n’en abandonne pas pour autant les retransmis­sions. Se levant à 4 heures du matin si nécessaire pour attraper le tournis. Ainsi va sa vie d’adolescent­e... De lignes droites en épingles, elle a choisi son écurie. Délaissant les posters de boys’ bands pour ceux des pilotes. Rongeant son frein durant la trêve hivernale. Cherchant sa voie. «Un truc à faire autour de ce sport. Absolument!»

Radio, image et Twingo

Étrangemen­t, le déclic ne viendra pas des paddocks. Mais de la coupe du monde 98. De football. De l’émotion populaire qu’elle a dégagée. De ces visages en liesse. En pleurs. De cette euphorie nationale brassée sur les Champs Élysées. «Là, j’ai compris que je voulais raconter des histoires. Transmettr­e. Informer, précise l’une des premières journalist­es sportives du PAF. J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes au bon moment. » Encore quelques pages animées de son roman. De la radio, Marion bifurquera vers la télé. « Un hasard. J’étais pigiste... » Vite remarquée et propulsée sur les plateaux. « Quel stress lors des premiers ! J’ai dû forcer ma nature et j’y ai pris goût. On peut faire tellement de choses avec l’image... » Dans la lumière, elle grignote des places sur la grille. Jusqu’au baptême du feu, le Grand Prix d’Espagne en 2009. « J’étais pétrifiée. » Mais c’est déjà du passé. Alors que LA rencontre se nourrit du présent. Celle avec Romain Grosjean, son époux. Son Arlequin. Car dans tout bon roman, il y a de l’amour... « Nous nous étions croisés à TF1 lorsqu’il était jeune pilote. En 2008, je l’ai revu sur une opération Renault au Castellet, et après... » Un tour de circuit en Twingo –« preuve que je ne suis pas une fille intéressée » – et les voilà qui fêteront leurs dix ans de bonheur ce weekend sur le Grand Prix de France ! Dix ans où tout n’a pas été rose et on ne parle pas là des trois mignons nés de cette union. « On a connu des galères. En 2009, Romain n’avait plus de volant. Il a même pensé à se reconverti­r dans la cuisine, car au-delà de l’auto, il adore la bonne bouffe... » Finalement, la roue a tourné dans le bon sens. Peut-être grâce à la force de leurs sentiments. À leur simplicité rafraîchis­sante. Marion ne dit-elle pas de son mari : « Il est à part. Il a des valeurs. Sa famille est son équilibre. Avec trois enfants, il a des nuits agitées. Pourtant, il arrive à tout conjuguer. Sa vraie vie est à la maison. La preuve, il sort même les poubelles!» Dans un éclat de rire, elle poursuit l’écriture du réel. Parfois la boule au ventre. Le dimanche. Jour des seigneurs de la F1 où le diable rôde. Prêt à mordre leur chair et marquer celle de leurs proches... « En dix ans, j’ai tout vécu. Il y a eu un avant et un après enfants. Quand nous étions tous les deux, j’étais angoissée. Une fois, il a eu un accident costaud à Monaco. Après, la nuit, dans la chambre d’hôtel, je le regardais dormir et je me disais : ‘‘Il respire’’. » C’était l’avant... « À la naissance de notre premier garçon, je pensais : s’il arrive quoi que ce soit à Romain, il faudra rester debout. Se relever.» C’était l’après... Multiplié par trois désormais. «Aujourd’hui, les petits grandissen­t et j’ai peur de ne pouvoir gérer leur peine si... » C’est maintenant... Ce facteur risque, Marion l’a intégré. Sans pour autant le cultiver. Elle le gère. En évitant au passage de laisser Sacha et Simon devant le poste plat quand papa court en relief. «Mais ça deviendra de plus en plus compliqué... » Surtout si leur super héros redevient compétitif, comme ce fut le cas au Canada après un début de saison chaotique. «Oulala, il a été frustré, mais ça va mieux. Il arrive à domicile avec l’envie de bien faire. Je peux vous l’assurer, les trois Français sont hyper motivés. » Gasly, Ocon et Grosjean ont les faveurs de celle qui fut élue « plus belle femme du paddock » en 2010. Toutefois, seul le dernier a son coeur. Sûrement la plus belle page de son roman...

‘‘ Il (Romain) a même pensé à se reconverti­r dans la cuisine” ‘‘ En dix ans, j’ai tout vécu. Il y a eu un avant et un après enfants... ”

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(Photos TF et E. D.)
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