Europe : d’une crise à l’autre
Le langage corporel en dit souvent plus que tous les discours. Les photos des leaders européens à l’issue du Conseil européen de Bruxelles plus que l’accord, long et jargonnant, auquel ils sont parvenus après neuf heures de tractations sur la question migratoire. Angela Merkel, épuisée, laissant échapper un énorme ouf ! Giuseppe Conte et Emmanuel Macron affichant tous les deux, mais pour des raisons différentes, le même sourire vainqueur. L’un, le président du Conseil italien, pour convaincre son opinion publique que Rome a remporté le bras de fer engagé avec la fermeture de ses ports aux navires chargés de migrants. Le second, qui jouait les messieurs bons offices, pour se féliciter que l’esprit de solidarité ait finalement prévalu : « Beaucoup prévoyaient le triomphe de solutions nationales, mais c’est la coopération européenne qui l’a emporté. » Quant à savoir si la crise est surmontée et si le compromis de Bruxelles est solide est viable, nul ne saurait pour l’heure l’affirmer. Pas même – et surtout pas – le président du Conseil européen, Donald Tusk, pour qui « il est beaucoup trop tôt pour parler d’un succès ».
De quelle crise parle-ton, au demeurant ? Moins d’une crise migratoire (laquelle est d’une certaine façon derrière nous : après avoir culminé en , avec plus de entrées par l’Europe du Sud, les chiffres sont retombés à un niveau inférieur à , soit environ par mois) que d’une crise politique : celle qui ébranle l’édifice européen tout entier, déstabilisé à son tour par l’onde de choc que cette vague migratoire a soulevée dans les pays membres. Montée du populisme. Entrée de l’extrême droite au gouvernement en Italie et en Autriche. Raidissement du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie). Affaiblissement de Merkel, dont la coalition tangue. Entre pays de première ligne et pays de l’arrière, entre « humanistes » et « populistes », entre ceux qui militent pour un partage équitable des réfugiés et ceux qui les refusent en bloc et en détail, les désaccords et les divergences d’intérêts sont majeurs. Croire qu’un sommet puisse en venir à bout relève de l’illusion. Le communiqué final sert plutôt à les accommoder. Quelques idées neuves (l’ouverture de « centres contrôlés » pour l’accueil des survivants, mais seulement dans les pays volontaires ; des « plates-formes de débarquement » en Afrique du Nord, mais encore faudrait-il que les pays concernés acceptent). Beaucoup de voeux pieux et de promesses vagues. Des sujets capitaux mis sous le tapis. L’unanimité
a un prix… Bien sûr, ce n’est pas très glorieux. Personne n’y trouvera son compte. Ni les humanitaires ni les contempteurs de « l’immigrationnisme ». Cet accord suffira-t-il au moins à conjurer le risque de nouveaux Aquarius ? On aimerait le croire. L’Europe, en tout cas, a évité une crise majeure. Dans les circonstances présentes, pouvait-on espérer beaucoup plus ?
« L’unanimité a un prix… Bien sûr, ce n’est pas très glorieux. »