Signé Roselyne
Mardi
C’est à pas lents, mené par le cardinal secrétaire d’Etat et escorté par les gardes suisses que le président de la République et la délégation française rejoignent la bibliothèque privée du pape. Il leur faut traverser pas moins de onze salons d’une munificence à couper le souffle, façon de faire comprendre que le pouvoir de l’Eglise catholique n’est pas de nature uniquement spirituelle mais qu’elle assied celuici sur tous les attributs du pouvoir temporel. A la sortie de l’audience plus longue que prévu, l’atmosphère est chaleureuse et les deux hommes s’étreignent dans une accolade qui n’a rien de protocolaire. Les oiseaux de malheur en sont pour leurs frais et remballent leurs pronostics qui prévoyaient une ambiance glaciale sur fond d’admonestation à la France et à sa politique migratoire trop peu accueillante. Hélas ! pour lui, le problème du pape François en ce domaine n’est pas français. Il est dans le fait que ce sont les bastions du catholicisme pratiquant qui mènent les politiques les plus anti-migrants, telles l’Autriche ou la Pologne sans oublier la Hongrie où l’influence catholique est forte. Madame Merkel est mise en difficulté par la CSU, parti dominant de la puissante et ultra-catholique Bavière. Elle se voit poser un ultimatum par son très catholique ministre bavarois de l’Intérieur, Horst Seehofer, la sommant d’expulser tous les demandeurs d’asile entrés en Europe par un autre pays que l’Allemagne. En Italie, Matteo Salvini et la coalition gouvernementale ont décidé de mener une politique de fermeture totale des frontières au mépris des traités européens et du droit de la mer. Dans l’Evangile de Matthieu, le Christ enjoint à ses disciples : j’étais un étranger et vous m’avez accueilli et assure que tout ce que nous faisons aux plus petits qui sont ses frères,
c’est à lui que nous le faisons. On imagine le tourment du successeur de Pierre de constater que ceux qui font litière de l’enseignement des Evangiles sont ceux qui s’en réclament de manière apodictique. La vérité est que le pape fait face à une véritable insurrection des catholiques européens qui craignent qu’une immigration en majorité musulmane ne constitue une bombe à fragmentation pour les fondamentaux culturels européens. François avait donc bien d’autres cathos à fouetter pour passer une mercuriale à Emmanuel Macron… Vendredi
h du matin. Le Conseil européen vient d’accoucher d’un accord sur la question migratoire. Tout le monde est content et comme le disait dans sa grande sagesse le radical-socialiste Henri
Queuille : « Il n’est pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout. » La chose fut grandement facilitée à Bruxelles par le fait que non seulement il n’y avait pas de solution mais que de plus le problème était en voie de résorption du moins dans l’immédiat. Nous étions quelques-uns à avoir prévu que cette affaire se
terminerait en eau de boudin, que les cris d’orfraie sur le mode « l’union européenne est en train
d’imploser » n’étaient poussés que pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes et un accord en peau de lapin pour une solution à long terme. On devrait même arriver à imposer à quelques pays friands de subventions européennes l’installation de centres de triage des migrants. La côte méditerranéenne s’est érigée en forteresse avec un certain succès et la bienveillance du gouvernement espagnol en accueillant l’Aquarius n’était qu’une opération de communication dans un contexte de renforcement des accords avec le Maroc pour rapatrier les mineurs non accompagnés. Les trous dans la raquette restent béants et les tarifs des passeurs devraient donc substantiellement augmenter. Quant au véritable enjeu, à savoir qu’à la fin du siècle, l’Afrique comptera , milliards d’habitants face à
l’Europe qui devrait n’en compter que millions, il n’en a pas été question. Simple oubli sans doute.
Samedi
L’image est impressionnante. Les cercueils de Simone et d’Antoine Veil reposent dans la crypte du Mémorial de la Shoah qui rappelle la mémoire des juifs de France déportés et dont seulement revinrent des camps d’extermination. Simone avait un rapport particulier avec sa judéité et si elle avait souhaité que le kaddish soit dit sur sa tombe, c’est uniquement en souvenir de la Shoah et non comme un acte religieux, car elle se revendiquait comme agnostique comme me l’a confirmé son fils Jean. Malgré les souffrances subies, sans occulter les lois scélérates édictées par Philippe Pétain, mises en oeuvre par Pierre Laval et ses séides, elle se refusait à jeter l’opprobre sur la France et rappelait que de tous les pays occupés par les nazis, il était celui qui avait le mieux protégé ses juifs. C’est la leçon que je retiens de Simone Veil : dans notre pays miné par les rancunes, les haines et les vengeances, c’est une patriote républicaine, une femme de réconciliation qui entre au Panthéon, accompagnée de l’homme qu’elle aimait et qui l’aimait.
« [Simone Veil] se refusait à jeter l’opprobre sur la France et rappelait que de tous les pays occupés par les nazis, il était celui qui avait le mieux protégé ses juifs. »