Le pied tanqué, tout un sujet
Un bob vissé sur la tête, de grosses lunettes de soleil sur le nez et un petit calepin à la main, Valérie Feschet fait partie de ces quelque 150 000 spectateurs qui auront arpenté, durant les cinq jours du « Mondial », les jeux de boule disséminés aux 27 coins de la cité phocéenne. Mais son regard ciselé se porte sur la pétanque, sujet sérieux sinon grave, s’il en est. Professeur à l’université d’Aix-Marseille depuis 1995, cette scientifique s’est penchée sur ce jeu il y a dix ans. Depuis 2008 et suite à un congrès au Québec au cours duquel elle avait été curieusement interpellée par des chercheurs américains sur les boules, elle étudie et dissèque ce jeu populaire qui véhicule nombre de valeurs.
« Arrêtez le golf »
Passionnée par « l’ethnologie de la Provence», cette tête chercheuse, dont le sujet d’études poussées étonne nombre de ses confrères qui regardent avec condescendance son travail jugé sans grand intérêt, n’en a cure. Avec une rigueur toute scientifique, elle s’est plongée dans les archives de la pétanque de ses origines (premier concours officiel organisé par La Boule étoilée en 1910 à La Ciotat) à… nos jours. En effet, si « la longue » existe probablement depuis l’Antiquité, le «pied tanqué» – d’où le mot pétanque – est donc récent, même si ce jeu se diffuse avec bonheur à travers le monde. « Si j’en ai le temps, un épais bouquin devrait être édité l’an prochain », espèret-elle. Aux États-Unis où, pour les besoins de la cause, elle fut licenciée à La Boule Newyorkaise, en plein coeur de Manhattan, la pétanque a un côté chic. «Arrêtez le golf et mettez-vous à la pétanque», invitent nombre de joueurs socialement bien installés. En France, la pétanque garde ou véhicule une image plus péjorative. Ce regard n’évolue guère. Par ses observations, cette pasionaria voudrait donner des lettres de noblesse à cette culture populaire, à cet art de vivre, à la « pétanque de cabanon ». Ce loisir pour beaucoup – un véritable sport pour les tout meilleurs – est scruté avec beaucoup de respect par cette chercheuse. Elle veut découvrir tout ce qui touche à cette discipline ouverte à tous qu’on soit jeune, vieux, gros, maigre, handicapé, homme, femme, enfant...
Entre voyous et bourgeois
Avec un penchant pour les joueurs ventripotents au « Marcel » débrayé, amateurs de shorts à fleurs qui s’enthousiasment pour des choses simples, cette universitaire aime la pétanque, «cette affaire d’amitié et de famille qui refuse les exclusions et véhicule des notions de liberté ». Elle regrette que les jeux de boules soient en France relégués à l’extérieur des centres-villes – contrairement aux États-Unis – où les terrains sont cédés aux promoteurs immobiliers. Elle s’étonne qu’en compétition, le short, malgré un mercure avoisinant les 40 degrés au soleil, soit interdit par une fédération quelque peu rigide sinon rétrograde. Elle s’amuse de « ce jeu de voyou pratiqué par les bourgeois», faisant référence notamment aux «m’as-tu-vus» qui s’exhibent du côté de la place des Lices à Saint-Tropez. Fervent défenseur de la cause bouliste, Valérie Feschet se réjouit que le Mondial La Marseillaise reste la fête de la pétanque et conserve ce côté d’immense kermesse. Intarissable sur le sujet, pour un peu, elle en perdrait la boule, si elle n’avait pas les pieds bien tanqués sur terre.