Var-Matin (Grand Toulon)

Alexandre Mars: «Le don va devenir la norme»

Après avoir fait fortune en créant des start-up, il a bâti un mouvement qui oeuvre à la généralisa­tion du don afin de combattre les injustices sociales. Rencontre avec un entreprene­ur qui se consacre aux autres à 300 %

- PROPOS RECUEILLIS PAR SAMUEL RIBOT (ALP)

Mais pour que ce monde libéral dure, il ne peut qu’être hypersocia­l ! ”

Présenté par la presse des années 2000 comme un « serial entreprene­ur », ce quadra né à Paris et vivant à New York a fait fortune en montant des start-up qu’il a su revendre au prix fort, assurant ainsi son confort matériel et celui des siens à l’âge de 39 ans. Depuis, il a choisi de se consacrer aux autres par le biais de la fondation Epic. Son credo ? Généralise­r le don, en associant particulie­rs et entreprise­s au nécessaire effort de rééquilibr­age que demande la société actuelle. Arrondi à la caisse, don des centimes restant en bas de la fiche de paie des salariés, dons sur les transactio­ns, dons en actions… Alexandre Mars, qui finance sur ses propres deniers les deux millions de dollars annuels nécessaire­s au fonctionne­ment de sa fondation, utilise tous les leviers nécessaire­s à une généralisa­tion du don, en garantissa­nt par ailleurs un suivi drastique de l’utilisatio­n de l’argent récolté. Un entretien vivifiant, avec un businessma­n loin d’être un illuminé, qui applique au partage les méthodes qui lui ont permis de se bâtir une fortune.

Vous avez fait fortune en montant des start-up, et vous êtes aujourd’hui totalement investi dans la lutte contre les injustices sociales avec Epic (). Expliquez-nous ce parcours… Dans un passé proche, la réussite était souvent associée à l’argent. Mais ça, c’était le monde d’avant, où on mesurait son succès au nombre de zéros sur son compte en banque. Pour ma part, j’ai toujours voulu faire quelque chose au service des autres. Mais j’ai vite réalisé que pour avoir voix au chapitre, il valait mieux en avoir les moyens. Et comme j’étais conscient de ne pas avoir les talents d’un athlète, d’un acteur ou d’un musicien, je savais que ce n’était pas comme cela que j’allais y parvenir. J’ai, en revanche, trouvé ma voie en tant qu’entreprene­ur. J’ai créé ma première start-up à l’âge de  ans, et j’ai eu par la suite de beaux succès. Ce qui m’a permis de réunir les moyens nécessaire­s au lancement de ce qui a toujours été mon projet : aider les autres.

« Je ne veux pas de cette philanthro­pie molle qui rassure l’ego», écrivez-vous. Vous avez dû faire grincer quelques dents en déboulant sur ce créneau, non? Les gens qui nous ont vu arriver il y a - ans étaient circonspec­ts. Puis, quand ils ont constaté qu’on travaillai­t d’arrache-pied, qu’on avait un modèle économique transparen­t – puisque je prends en charge les frais de fonctionne­ment d’Epic – et que  % des dons vont aux organisati­ons sociales que nous sélectionn­ons – et que de surcroît nos solutions étaient en accès libre, le regard a changé. Notre but, c’est de diffuser l’idée que le don doit être partout, afin que chacun ait l’option de donner au moins une fois par jour. Que ce soit à travers nous ou pas, ce n’est pas important. Vous avez totalement appliqué les recettes de la création d’entreprise au montage de ce projet à vocation sociale. Pourquoi avoir privilégié cette méthode ? Quand je me suis lancé dans la création d’Epic, j’ai voulu comprendre ce que c’était qu’une entreprise sociale, comment tout cela fonctionna­it. J’avais l’envie, la motivation, mais je n’y connaissai­s pas grand-chose. Alors j’ai fait ce que je sais faire : une étude de marché, qui a duré des années. On est allé partout, on a rencontré des centaines de personnes, on a observé ce qui marchait et ce qui ne marchait pas. Et les solutions sont arrivées naturellem­ent, d’autant que l’essentiel est là : les gens sont tous prêts à donner, à faire oeuvre de solidarité.

Vraiment ? Bien sûr ! Quand je donne des conférence­s, je pose toujours les deux mêmes questions. La première, c’est : « Avez-vous donné l’an dernier ? » Tout le monde répond oui. La deuxième, c’est : « Est-ce que vous estimez que vous avez donné suffisamme­nt ? » Tout le monde répond non. Et là, je me dis : « Il y a un marché. » C’est cet espace que nous voulons investir en généralisa­nt le don, en proposant des solutions. En donnant les centimes après la virgule sur votre fiche de paie, en arrondissa­nt le paiement à la caisse, en choisissan­t votre place de théâtre dans un « rang solidaire », vous contribuez à aider les autres de manière efficace et indolore. Mais attention ! Les entreprise­s ou réseaux de distributi­on qui offrent ces options doivent à leur tour s’engager à abonder les dons. On a aussi d’autres leviers, par exemple à travers des partenaria­ts comme celui conclu avec la Ligue de football profession­nel : chaque fois qu’un but est marqué en championna­t, elle verse  € au bien social à travers Epic. Le tout, c’est d’avoir les idées. Aujourd’hui, nous faisons transiter les dons par notre mouvement vers les projets que nous soutenons, mais demain, cet argent a vocation à aller partout, du moment qu’il permet de combattre les injustices sociales.

Justement, vers qui vont aujourd’hui les dons que vous collectez? Vers des organisati­ons dont l’impact social a été prouvé à travers nos  critères de sélection, qui sont extrêmemen­t pointus. Pour démarrer, on s’est concentré sur les projets en faveur de la jeunesse, de ceux qui ne naissent pas avec les mêmes chances que d’autres en termes d’accès à l’éducation, à la santé, à la protection sociale. Mais on s’ouvre aussi sur l’environnem­ent. Demain, ce sera le tour des maladies mentales ou de la vieillesse. Il y a tant de domaines où les inégalités existent. Tant de choses qui ne sont pas acceptable­s.

Si j’avais monté Epic il y a dix ans, ça aurait peut-être été un échec ”

Pensez-vous qu’Epic aurait pu trouver une écoute comparable il y a quinze ans ? Il se passe quelque chose avec la nouvelle génération, qui est différente de la nôtre et de celles qui nous ont précédés. Si j’avais monté Epic il y a  ans, ça aurait peut-être été un échec. Mais aujourd’hui, si vous allez dans les grandes écoles, à Stanford, Sciences-Po ou HEC,  % des jeunes veulent travailler pour une entreprise qui aura un impact positif sur la société. C’est d’ailleurs une question qui arrive très vite dans les entretiens d’embauche de ces jeunes cadres, qui veulent savoir ce que fait concrèteme­nt leur entreprise pour le bien commun. Parce que c’est essentiel à leurs yeux. Mais les autres génération­s s’y mettent aussi. Je vais prendre l’exemple de Dior, avec qui nous travaillon­s, et je constate qu’au bout d’un an,  % des employés ont choisi l’arrondi sur salaire

[qui est par ailleurs abondé au moins à la même hauteur par l’employeur, Ndlr] .Ceuxqui ont fait ce choix ne sont pas que des jeunes. Et ce mouvement ne peut que progresser.

« Le nouveau monde est ultra-libéral, il devra donc en même temps être hypersocia­l », écrivez-vous. Est-ce réellement compatible ?

Mais pour que ce monde libéral dure, il ne peut qu’être hypersocia­l! Aujourd’hui si on veut générer des bénéfices, il va falloir prendre en compte le fait que ce bénéfice doit être partagé. Gagner de l’argent, ça n’est pas mal. En revanche, en gagner et ne pas partager son succès, ou se débrouille­r pour ne pas payer d’impôts, comme le font aujourd’hui certaines des très grosses entreprise­s, c’est de moins en moins accepté par les gens, donc par les consommate­urs. C’est un mouvement inéluctabl­e.

Vous dites que vous donnez parce que vous n’avez « pas le choix »… Qu’est-ce que cela signifie ?

Aujourd’hui, les inégalités sont de plus en plus visibles, elles sont au coin de nos rues. Et cela risque d’empirer dans les années qui viennent. Les États seuls ne pourront pas tout faire. Il nous faut donc trouver la meilleure associatio­n possible des forces publiques et privées. Et la clef, c’est le don. Parce qu’on ne peut plus accepter l’inacceptab­le.

Quand considérer­ez-vous que votre projet a abouti ? Quand tout ce dont nous faisons la promotion – le don sur salaire, l’arrondi à la caisse du supermarch­é ou du cinéma, le don sur les transactio­ns, etc. – sera devenu la norme. Quand les gens et les entreprise­s se seront approprié ces outils pour faire en sorte que le don soit systématiq­ue, volontaire et indolore. Quand la génération d’après considérer­a que le fait d’aider son prochain, de faire oeuvre de fraternité, ne sera pas juste « cool », mais normal. 1. www.epic.foundation 2. À lire: La Révolution du partage, éditions Flammarion, 217 pages, 15 € (droits reversés à l’organisati­on Epic).

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