Les déchets plastiques tueurs de baleines SOPHIE CASALS scasals@nicematin.fr
Une grande banderole accrochée au voilier annonce le cap de sa mission scientifique : « Pelagos plastic free » (Pelagos sans plastique). Sur le pont de l’Ainez, en escale à Nice pour deux jours, Tosca Ballerini, Laura Frère et Jérémy Mansui font le point avec Bruno Dumontet. Barbe poivre et sel, chemise blanche, cet ingénieur agronome se consacre depuis près d’une décennie au problème de la pollution plastique en Méditerranée. En 2009, alors qu’il « navigue utile » en Méditerranée, il observe ces débris. La situation l’alerte. « J’ai décidé d’agir. » Il crée l’association Expédition mer en danger et lance un programme citoyen de recherche.
Baleines et rorquals ingèrent des débris
Depuis le mois de juin, les scientifiques sillonnent les eaux du sanctuaire Pélagos : une zone située entre le nord de la Sardaigne et Toulon (1). Leur mission : faire un inventaire des bactéries et virus présents sur ces déchets ingérés par les mammifères marins. «Le rorqual commun mange du krill en filtrant l’eau, explique Bruno Dumontet. Quand il avale l’eau de mer, il va donc garder dans sa gueule le plancton mais aussi les débris de plastique. » Les scientifiques veulent évaluer les risques de cette pollution sur leur santé. Une santé déjà fragilisée par des facteurs de stress comme le bruit des navires qui croisent en mer. «Trente pour cent du trafic maritime mondial passe en Méditerranée. Or, cette pollution sonore perturbe la capacité des baleines à communiquer entre elles, et génère du stress», pointe Jérémy Mansui, océanographe. Par ailleurs, les cétacés sont aussi exposés à la pollution de l’eau. « Des études réalisées sur ces baleines montrent qu’elles présentent dans leur organisme des taux de polluants chimiques beaucoup plus élevés en Méditerranée, qu’en mer de Cortez (golfe de Californie). » Assise à la poupe du bateau, Tosca Ballerini, biologiste marin désigne un filet rangé juste en face d’elle. « C’est dans ce filet manta qu’on récupère les déchets. » Elle sort quelques flacons à bouchon rouge. Les scientifiques analysent la chimie des débris collectés, puis l’ADN des micro-organismes qui s’y trouvent. «L’année dernière, nous avons commencé à faire un inventaire des bactéries présentes, et certaines ne sont pas très sympathiques. Comme le vibrio par exemple qui peut donner la gastro, poursuit Laura Frère, biologiste marin. On a trouvé un groupe potentiellement pathogène. » De son regard azur, la jeune femme fixe l’horizon. «On ne veut pas être alarmiste, mais quand on fait 40 prélèvements, et que dans les 40 il y a du plastique, on se dit qu’il y a urgence. Il faut agir. »
Changer ses habitudes
Pour sensibiliser le grand public, l’association organise des conférences, des expositions… « On informe les citoyens de la situation, avec des éléments factuels pour qu’ils prennent conscience de l’impact de cette pollution. Et l’idée c’est qu’ils repartent en se disant « qu’est ce que je peux faire à mon niveau pour changer la donne ».» Expédition Med propose aussi aux adultes de participer aux travaux des scientifiques en mer. Cathy a ainsi embarqué comme éco-volontaire. « Lors de mes études, j’ai fait de la biologie marine et j’avais envie d’en savoir plus. » La Bordelaise en est à sa troisième saison. « Ça a complètement changé ma façon de consommer. Je fais beaucoup plus attention à limiter mon utilisation de plastique : par exemple j’ai réduit ma consommation de plats préparés et suremballés. » L’Ainez poursuivra sa mission jusqu’au 10 août avec des escales à Toulon et Marseille.
1. Le sanctuaire Pelagos a été créé en 2002 par la France, l’Italie et Monaco pour protéger les mammifères marins en Méditerranée. « Pelagos plastic free », est une campagne financée par le Sanctuaire Pélagos et menée par les associations Expédition Med et Legambiente.