Les pompiers varois en renfort racontent leur expérience
Pendant huit jours, douze pompiers du SDIS ont apporté leur soutien à leurs homologues suédois dans la lutte contre l’incendie qui a ravagé plus de 30 000 ha. Rencontre avec deux d’entre eux
Une équipe de douze sapeurs-pompiers du SDIS 83 (1), membres du détachement français parti prêter main-forte en Suède, est de retour dans le Var après plusieurs jours de lutte acharnée contre le deuxième plus gros feu de l’histoire dans ce pays scandinave. Il y a une dizaine de jours, lors de leur départ, la partie était loin d’être gagnée. Hier matin, deux d’entre eux, le capitaine Peter Jones (chef adjoint du détachement varois) et l’adjudant-chef Oscar Nystrom (Suédois en vacances à La Garde-Freinet où il est pompier volontaire) ont retrouvé les locaux de la direction départementale, accueillis par le colonel Éric Grohin, nouveau patron du SDIS 83. Ils ont ainsi évoqué leur action déterminante qui a contribué à diminuer l’intensité des incendies. Cette intervention les a menés à partager
(2) avec leurs homologues suédois leur expérience en matière de stratégie de coordination aéroterrestre. Rencontre.
Comment se prépare-t-on à une telle intervention ? Peter Jones : avec des formations et les interventions engagées tout au long de l’année. Pour cette opération, tous les services supports du SDIS ont préparé et envoyé les matériels, tandis que les personnels qui ont le plus d’atouts pour faciliter la mission en Suède ont été retenus. Des pompiers maîtrisant l’anglais, comme Oscar Nystrom qui, de surcroît, connaît bien le pays puisqu’il en est originaire. Mais aussi des bûcherons, des mécaniciens. La préparation s’effectue en deux jours en identifiant les ressources. Le vivier de sapeurs-pompiers volontaires est tel que l’on peut aller puiser ces ressources. Au total, nous étions une équipe de quatre professionnels et huit volontaires du SDIS parmi les Français venus au secours de la Suède.
Sur place, quelle était votre mission ? Peter Jones : intervenir sur le secteur nord de l’incendie, aller chercher le feu au plus proche de sa lisière, afin de l’arrêter là où il était au moment de notre engagement. Ce que nous sommes parvenus à faire. Le but était de tenir cette lisière entre deux grands lacs afin d’épargner des milliers d’hectares. Oscar Nystrom : ce secteur identifié - était le plus important : hectares étaient partis en fumée sur une superficie alors estimée à ha.
Quels ont été les difficultés rencontrées ? Oscar Nystrom : il s’agissait principalement d’un travail pionnier, avec du personnel au sol, des moyens de forestage pour créer des accès dans les forêts. Il y avait des pistes, mais elles n’étaient pas aux endroits que l’on souhaitait. Il y avait aussi des zones brûlées en plein massif vert sans aucun accès. Là, du personnel à pied a été envoyé pour effectuer du tronçonnage et des établissements de grandes longueurs pour permettre aux hommes d’avancer dans la forêt avec des tuyaux sur le dos. L’établissement le plus long réalisé faisait , kilomètres. Au total, nous avons déroulé plus de km de tuyaux sur le feu pendant sept jours. C’est énorme ! Peter Jones : c’est une belle performance physique et opérationnelle. Sur le travail de forestage, ce qu’il y a de très différent par rapport au Var, c’est la végétation. Il y a beaucoup de feux de cimes, mais aussi de mousses séchées qui se consument. Le feu descend ainsi dans les racines. Dans ce contexte, les pompiers effectuent des opérations de grattage, de noyage, de tronçonnage, de pioche. C’est vraiment un travail forestier. Nous avons également effectué du brûlage tactique
() pour empêcher le feu de se propager et de sauter des pistes.
Le brûlage tactique est une méthode maîtrisée dans le Var. Est-ce le cas aussi en Suède ? Oscar Nystrom : c’est une technique qui date de nos ancêtres. À l’époque où il n’y avait pas de sapeurs-pompiers, c’était l’unique moyen d’exploiter les forêts et de limiter les feux massifs. C’est donc quelque chose qui existe mais n’est absolument pas pratiqué en Suède. En France, on le pratique à nouveau depuis cinq-dix ans. C’est une technique très spéciale qu’il faut maîtriser. Peter Jones : elle est employée avec beaucoup de précaution en France, avec toutes les règles de sécurité qui s’imposent. Notre expérience permet d’aller vers cette technique poussée de feu tactique, ce qui n’est pas le cas en Suède. Ils étaient très réticents au début. Par crainte que l’incendie ne se propage, mais aussi parce qu’ils n’ont pas les mêmes niveaux de sécurité au niveau du personnel.
C’est-à-dire ? Peter Jones : les consignes des Suédois étaient de ne pas pénétrer dans la forêt. Ils ne vont pas chercher le feul, contrairement à nous. En raison notamment des risques de chute d’arbres. Le feu brûlait les racines, les arbres perdaient leur stabilité. Il y avait un effet de mikado, donc des précautions à prendre constamment, en veillant aux bruits de craquement. Oscar Nystrom : c’est une mission à risque, mais que les personnels varois maîtrisent sur le bout des doigts. Le brûlage tactique est orchestré d’une façon exceptionnelle. Ensuite, les détachements d’intervention héliportés, parfaitement maîtrisés dans le Var et les Bouches-du-Rhône, ont aidé. Nous n’avons pas fait d’établissement de grande longueur avec nos dévidoirs aériens. En revanche, nous avons récupéré le personnel pionnier qui, via la forêt, a accédé à un point haut, inaccessible pour un moyen hydraulique. Des cuves à eau de litres motopompe ont été installées permettant de déployer les tuyaux. Ces cuves ont été approvisionnées par les hélicoptères bombardiers d’eau, permettant ainsi au personnel au sol d’aller traiter les zones avec un appui hydraulique, d’une façon plus simple. Des pistes pare-feu ont été créées avec deux bulldozers de tonnes D et quatre pelles mécaniques.
La Suède ne dispose pas de Canadair... Peter Jones : en effet, la France en a envoyé deux. Après cette catastrophe, je pense que les Suédois réfléchissent à se coordonner au niveau européen, notamment avec les pays scandinaves, pour des moyens aériens tout en maintenant leur philosophie d’intervention. La force d’un Canadair est de pouvoir intervenir rapidement. En France, la stratégie est de frapper vite et fort. Elle paye. Les deux derniers jours, nous avons expliqué aux Suédois notre fonctionnement, transmis nos savoirs. Cela débouchera sans doute sur une collaboration entre la France et la Suède. Des contacts et des liens très forts ont été établis.
Vous avez rencontré la princesse Victoria... Peter Jones : elle est passée à titre non officiel. Elle était en vacances avec son mari, la visite a été très discrète. Oscar Nystrom : c’était l’occasion de présenter le travail accompli par le détachement des sapeurspompiers français qu’elle a apprécié. Elle n’est pas restée très longtemps, mais suffisamment pour dire sa satisfaction. Nous avons également reçu beaucoup de témoignages de la population. Peter Jones : nous avons été reçus de façon exceptionnelle, hébergés dans des tentes pour huit personnes avec des cabines isolées pour chaque personne. Le deuxième jour, les Suèdois avaient même installé la climatisation. La population a été extrêmement chaleureuse. Ce sont des gens très accueillants. Il y a une réelle solidarité.
1. Service départemental d’incendie et de secours du Var. Il a été sollicité par la Suède, au même titre que l’UIISC7, à la suite du déclenchement du mécanisme européen de protection civile, pour lutter contre d’énormes incendies. 2.Sous-équipée pour ce genre d’interventions, la Suède avait sollicité l’aide de ses voisins en activant le mécanisme européen de protection civile. L’Italie, le Portugal, la France ou encore la Norvège ont répondu à l’appel en envoyant hommes et matériels. 3. Il s’agit de créer une zone brûlée contrôlée où le feu va s’arrêter naturellement. Le feu doit arriver sur cet espace qui est considéré comme déjà perdu. Une analyse approfondie du site est réalisée en amont.