Var-Matin (Grand Toulon)

LA CITÉ BERTHE PLONGÉE DANS LA PEUR

Le double meurtre survenu à La Seyne dans la nuit de dimanche à lundi a secoué les habitants de ce quartier populaire. « On a peur pour nos enfants », témoignent-ils.

- M. G. mguillon@nicematin.fr

D’entrée, le ton est donné : « Les gens ont peur des représaill­es ; personne ne voudra vous parler. Pourtant, beaucoup savent ce qu’il se passe dans le quartier ; ces histoires de règlements de comptes entre jeunes qui vendent de la drogue. Tout le monde le sait, mais il y a trop de risques à dire quoi que ce soit », assure une éducatrice sociale du quartier Berthe. Et il est vrai qu’il est compliqué d’obtenir des commentair­es sur la situation. Ceux qui, après tergiversa­tions, acceptent de donner leur sentiment, le font à condition que leur nom et leur photo n’apparaisse­nt pas dans le journal. Autant les hommes que les femmes d’ailleurs. Passés les « Je n’ai rien à dire » ou « Je ne parle pas à la presse », on enchaîne aussi les « Oh, je n’habite pas ici, moi » - comme un prétexte pour se taire, qui revient comme un refrain. Mais du côté de ceux qui acceptent de dire quelques mots, c’est un autre refrain qui revient : « la peur ».

« On cherche à déménager »

« Oui, on a peur de sortir le soir », lâchent, sans s’arrêter, deux mamans avec poussettes. Une dame qui revient du supermarch­é consent à se livrer… un peu : « C’est de pire en pire, ici. Quand je vais faire mes courses, c’est : “vite, vite, je sors” , et “vite, vite, je rentre”. Surtout quand je vois ces jeunes assis sur une chaise devant le garage, côté Germinal A4, qui ouvrent et ferment le portail pour laisser rentrer les voitures de ceux qui viennent acheter de la drogue. Ça craint vraiment, vous savez. C’est pas comme ça qu’on gagne sa vie ; c’est la mort qu’on gagne quand on fait ça, lâche cette maman de trois garçons de 18, 15 et 13 ans. D’ailleurs, j’ai dit à mes fils de ne plus traîner dans la cité, mais d’aller du côté d’Auchan ou de Leclerc, ou même carrément à la plage le mercredi. Et le soir, interdit de sortir ; à 21h30 au plus tard, tout le monde doit être dans sa chambre ». Devant l’école Lucie-Aubrac, une autre maman accepte de dire quelques mots : « En ce moment, c’est trop. J’ai peur pour mes enfants, surtout quand on descend les escaliers de notre immeuble, on croise des jeunes qui vendent de la drogue. Et quand on appelle les policiers, ils viennent, ils passent, mais ils ne restent pas. Nous, on ne se sent pas en sécurité, je pense qu’on va chercher à déménager ».

« Personne n’est à l’abri d’une balle perdue »

Plus loin, deux hommes, entre 40 et 50 ans, conversent sur un trottoir, du côté de la place Saint-Jean.

« C’est vrai que les gens ont peur ; ils ont surtout peur pour leurs enfants. C’est sûr qu’il faudrait plus de policiers et plus de caméras dans le quartier ». Peur pour les enfants, certes, mais pas seulement : « Quand ça tire à la kalachniko­v, ça arrose dans tous les sens. Alors, enfants ou adultes, personne n’est à l’abri d’une balle perdue », estime un autre quinquagén­aire.

A deux pas du centre Mandela, un retraité fait part de son exaspérati­on : « Ça n’arrête pas en ce moment. Quand c’est pas les coups de feu, ce sont les voitures brûlées. Encore la semaine dernière, une carcasse qui flambait a mis le feu à un arbre à côté... C’est n’importe quoi. Il faut être plus sévère. Aussi contre les motos qui réveillent tout le monde en pleine nuit. Y’a plus de respect ! Et depuis au moins six mois, c’est de pire en pire. Avant, on était un peu tranquille. Là, c’est pas normal que les gens aient peur. On n’est pas en guerre, quoi ! On est dans un pays de libertés ; c’est pas aux minots de faire la loi dans le quartier ! ».

« Aux familles de mieux éduquer les jeunes »

La mise en oeuvre d’un couvre-feu, décidé par le maire, est-elle de nature à rassurer les habitants du quartier ? « Ça peut être bien le couvre-feu, reprend le retraité , car ce sont les minots qui foutent le bordel, non ? Alors qu’ils restent chez eux et que les parents s’en occupent ». Sentiment partagé par cette maman : « C’est aux familles de mieux éduquer les jeunes. Je vois des enfants qui sont dehors toute la journée, pendant que leurs parents sont en ville ou dans les magasins ». Et une autre mère de famille de pointer les limites de cette solution : « Le couvre-feu ça peut aider, mais je n’y crois pas. Parce qu’il faudrait plus de policiers pour le faire respecter ; et parce que les enfants n’obéissent pas forcément aux parents quand on leur dit de ne pas sortir... ».

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(Photos R. M. et D. Leriche) La fusillade a éclaté au pied de cet immeuble du quartier de Berthe.
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(Photo R. M.) Les hommages aux victimes de dimanche soir.

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