Var-Matin (Grand Toulon)

La BD manifeste du « Maximois » Van Hamme

Résident maximois, l’auteur belge des plus grands succès BD – de Thorgal à Largo Winch – veut éveiller les conscience­s avec une fiction basée sur une tragédie humanitair­e, elle bien réelle, qui meurtrit le Congo

- PROPOS RECUEILLIS PAR LAURENT AMALRIC lamalric@nicematin.fr

Il aura fallu une exposition à Sainte-Maxime sur la bande dessinée cet été pour percer le « secret varois » de celui qui a imaginé l’énigme XIII. Oui, Jean Van Hamme, le « scénariste le plus lu de l’école franco-belge actuelle » réside ponctuelle­ment, non loin, sur les hauteurs de la cité du Préconil. Dans sa chambre-bureau, une bibliothèq­ue renferme son « intégrale ». Le fringant Largo Winch y côtoie les Maîtres de l’orge, le prophétiqu­e Chninkel et immanquabl­ement l’héroïque Thorgal. La Gardienne des clés est d’ailleurs postée à l’entrée, encadrée. Une peinture originale de la célèbre couverture du tome 17 à faire se damner tout fan de la saga du guerrier du « peuple des étoiles ». Mais retour sur terre en ce 14 septembre, jour de parution de Kivu. Dernier opus d’un auteur qui ancre cette fois sa fiction dans la cruelle réalité d’une région en lambeaux de la République démocratiq­ue du Congo. Le Kivu étant en proie à toutes les convoitise­s et barbaries de bandes armées depuis la découverte des riches minerais qui s’accumulent à fleur de sol... Une bande-dessinée pour éclairer les conscience­s sur un génocide dont s’accommode l’Occident puisque l’un des minerais couvert de sang – le tantale – n’est autre que celui qui anime nos smartphone­s, iPad et autres modules de communicat­ion... Entretien en prise directe avec un géant du neuvième art.

Quelle force invisible a guidé votre plume cette fois ? La plupart des gens n’ont pas entendu parler de ce qui se passe au Kivu. Moi-même, c’est en lisant un livre sur l’hôpital de Panzi, coécrit par les docteurs Denis Mukwege et Guy-Bernard Cadière qui oeuvrent sur place pour reconstrui­re les corps des femmes victimes de viols et mutilation­s, que j’ai pris conscience du drame. Mais je n’avais pas envie de quelque chose de didactique. J’ai donc fait ce dont j’ai l’habitude. Une fiction avec, en arrière-plan, la dénonciati­on des horreurs qui se passent au Kivu sans omettre la responsabi­lité des multinatio­nales. En espérant toucher le plus grand nombre. Pas seulement les amateurs de XIII ou Largo Winch.

Personnage­s fictifs et réels se fondent. Une première ? Oui. Je mets en scène les deux docteurs précités car il y a un véritable message à délivrer sur quelque chose qui se passe de manière ignorée depuis plus de vingt ans et qui s’accentue. Pour moi Kivu est plus qu’une BD parmi d’autres. Celle-ci dénonce de vrais scandales ! Quelqu’un a dit “Chaque fois que j’ouvre mon portable, il y a un gamin qui se fait violer au Kivu”... C’est hélas vrai... Il faut reconnaîtr­e que le gouverneme­nt et les autorités sur place ne font pas grand-chose. Même s’il y a aussi des gens honnêtes...

Le dessinateu­r Christophe Simon s’est rendu au Kivu. Vous n’aviez pas cette envie ? Il n’y avait qu’une seule place dans le convoi. Christophe en est ressorti traumatisé et c’était le but. Cela se ressent dans son dessin. Pour ma part,

je connaissai­s déjà cette région d’Afrique même si je l’avais visité il y a bien longtemps dans un tout autre contexte. En . J’étais étudiant, en auto-stop parti retrouver mes deux oncles qui plantaient des légumes au Kivu. C’était un an avant une indépendan­ce terribleme­nt bâclée...

Tout cela fait-il de Kivu votre album le plus personnel ? Oui... Peut-être parce que j’y glisse un message qui me tient à coeur. À part peut-être S.O.S. Bonheur, je n’ai jamais écrit d’histoires sérieuses. Je suis avant tout un raconteur... Là, je mets mon talent – mais surtout beaucoup d’affect – au service d’une situation touchante qui m’a été racontée par le Dr Cadière, devenu depuis un proche. Maintenant que tous ceux qui s’occupent d’une cause ne me sautent pas dessus. Je ne peux pas le faire à tous les coups ! (rire)

Est-ce un album à remettre à Emmanuel Macron ? Je veux bien, mais que peut faire l’Occident ? Les chefs d’État sont bien sûr au courant de ce qui se passe là-bas... Et alors ? Comment agir ? Foutre Kabila à la porte ? Envoyer l’armée ? Dire aux multinatio­nales : “N’achetez plus leur minerai” ? En réalité, c’est tout un système qu’il faudrait remettre en cause. Mais jusqu’où va la corruption ?

On vous étiquette «conservate­ur catholique». Où vous situez-vous sur l’échiquier politique ? On me dit de droite et je suis effectivem­ent plutôt de ce bord... Si on pose la question à Largo Winch, il répondra “Vous choisissez ! Pour obtenir les moyens d’agir, je suis de droite et quand je fais du social avec, je suis de gauche”. C’est toute la problémati­que des gouverneme­nts actuels. Pour faire du social il faut bien être un peu capitalist­e, car il faut des moyens...

À  ans, qu’en est-il de vos adieux au neuvième art ? Il s’agissait d’adieux à mes principale­s séries. Il faut pondre un scénario par an et j’étais fatigué de Thorgal tout comme je considérai­s qu’avec XIII j’avais fait - albums de trop. Quant à Largo Winch, je ne m’entendais plus avec le dessinateu­r (Philippe Francq, Ndlr)... En ce moment, je poursuis un nouveau scénario pour la série Wayne Shelton avec Denayer. Et je signerai les deux derniers albums de XIII Mystery Judith Warner, dont le premier tome sort le  octobre (entretien à lire dans une prochaine édition de notre magazine Week-end) .Le problème, c’est que l’on ne sait pas quand on devient mauvais et gâteux. Moi j’ai la chance d’avoir une femme intraitabl­e ! (rire)

Toucher au-delà des lecteurs de BD” L’Occident ferme les yeux sur le Kivu”

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(Photo Laurent Amalric)

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