Toulon : un Nid pour redonner des ailes aux naufragées du trottoir
Son local toulonnais ne paie pas de mine. Quelque 6 m2, discrètement retirés place de la Visitation, proches du CCAS, entre le cours Lafayette et la porte d’Italie. C’est ici que Muriel Huré, encerclée d’étagères bourrées d’un hétéroclite bric-àbrac, reçoit pour parler de sa perception de la prostitution en terre varoise. « Il y a une trentaine d’années, nous côtoyions 80 % de Françaises. Nous prenions le thé au local, elles se confiaient sur leurs tracas, leurs enfants... Aujourd’hui, la majorité sont des Nigérianes, sorties de camps de réfugiés et de plus en plus souvent mineures... Peu importe. Qu’on se fasse rembarrer ou pas, le premier contact s’effectue toujours sur le trottoir le soir. Une tournée a lieu toutes les trois semaines sur Toulon pour créer des liens. C’est là que le déclic se produit et qu’elles se disent, si ces gens s’intéressent à nous c’est que l’on vaut peut-être quelque chose... Car il est beaucoup question de manque d’estime de soi dans ce milieu. Une majorité a subi des viols durant l’enfance... », débute cette retraitée entrée en 1983 au Mouvement du Nid.
La prostitution à ans
Dans ses yeux bleus perçants se lisent toute la conviction et la détermination d’une femme qui oeuvre en bénévole pour « abolir le système prostituteur », tout en accompagnant chaleureusement celles qui en sont victimes... « Je ne dis pas que la réussite est phénoménale mais enfin, tous les ans certaines en sortent. Les fondations restent fragiles, alors au moindre pépin elles retombent... Quand ça devient trop lourd pour moi, je regarde des dessins animés...», sourit-elle pudiquement.
à rembourser €
De l’adolescente « perdue » aux « anciennes », comme cette grand-mère de 83 ans qui exerce sur la route du Castellet, en passant par celles qu’il faut cacher car en danger de mort suite à la dénonciation de leur « proxo », les profils sont multiples. « Avec les Nigérianes, la barrière du langage est compliquée. On tente malgré tout de monter des dossiers de demandeur d’asile. Mais leur situation est complexe, car elles doivent rembourser 50 000 € à ceux qui les ont fait passer en Europe. Et si elles n’envoient pas l’argent, leur famille sur place, qu’elles contribuent aussi à financer, est menacée...», Côté tarifs, Muriel Huré le confirme, «il n’y en a pas ! La passe se négocie comme ça dans la rue... L’autre soir, j’ai réprimandé des jeunes que j’ai entendu odieusement proposer deux euros pour un “service”», se désole-t-elle. Lorsqu’elle a rejoint l’association, l’équipe comptait dix militantes. Pour cette rentrée, elles ne sont plus que deux à jouer les « éclaireurs ». Les plus jeunes ont eu des bébés, ont été mutées... Dans ces conditions, difficile de continuer. Pas suffisant pour décourager Muriel Huré qui a pour mot d’ordre de ne « jamais capituler ». Même lorsque les autorités ne jouent pas assez collectif à son goût...
Procédures difficiles
« Tant que la police, comme à Toulon, n’appliquera pas la loi du 13 avril 2016 et refusera de prendre nos dépôts de plainte, nous aurons de plus en plus de jeunes Nigérianes ou autres victimes de réseaux mafieux sur nos trottoirs et nos routes... Quant aux gros bonnets, ils agissent la plupart du temps de l’étranger et ne se font jamais prendre... », souffle-telle, lucide sur les limites de son engagement. Entérinant le débat comme quoi le problème n’est pas le « manque de reconnaissance de la profession », mais la « profession » ellemême.