Var-Matin (Grand Toulon)

Aurélie Filippetti: «Nous aurions besoin d’idéalisme»

Retirée de la politique, l’ancienne ministre de la Culture vient de publier Les Idéaux, plongée largement autobiogra­phique et désabusée dans les coulisses des deux derniers quinquenna­ts

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

La politique souffre d’un excès de réalisme”

Aurélie Filippetti est désormais une retraitée de la politique. Revenue à sa passion première, elle publie Les Idéaux (1), roman fortement inspiré de son expérience du pouvoir, des désillusio­ns qui l’ont accompagné­e et de ses histoires d’amour successive­s avec deux ministres aux antipodes, Frédéric de Saint-Sernin et Arnaud Montebourg. Un regard toujours fiévreux porté sur les inégalités, l’ancienne ministre de la Culture sera présente au Festival du livre de Mouans-Sartoux, le dimanche 7 octobre.

Pourquoi avoir choisi le roman pour parler de politique et des coulisses du pouvoir ? Parce qu’on est beaucoup plus libre dans un roman. Je ne voulais pas faire la chronique des quinquenna­ts Sarkozy et Hollande, mais raconter des choses sur les limites de la politique, ce que produit le pouvoir sur les hommes et les femmes qui y accèdent. J’avais donc besoin de la liberté qu’offre le roman, même si tout est basé sur une authentici­té. J’ai choisi des éléments que j’ai reconstrui­ts. La politique, dites-vous, étouffe sous le cynisme… Je pense que la politique souffre aujourd’hui d’un excès de cynisme et de ce qu’on appelle, à tort, un excès de réalisme, alors que nous aurions au contraire besoin d’idéalisme pour faire changer les choses. Je crois que les gens ne veulent plus de ces femmes et ces hommes politiques qui se soumettent à une espèce de fatalité et n’agissent pas pour changer les choses.

Vous estimez aussi que le pouvoir est devenu l’ennemi de la politique. Comment faire, alors ? Il faut résister, comme élu mais aussi comme citoyen, à l’ivresse du pouvoir. On l’a vu avec Nicolas Hulot, il y a des lobbies qui s’exercent, des forces de l’argent auxquelles il faut savoir s’opposer pour défendre ses conviction­s. On peut y arriver, mais il faut une volonté de fer pour y parvenir.

Macron, la jupitérisa­tion, c’est tout ce que vous abhorrez ? On souffre de cette forme de monarchisa­tion de la fonction présidenti­elle. Il y a trop de décorum, d’ors de la République. Cela contribue à faire perdre le sens des réalités aux hommes et femmes politiques. Un homme a rarement raison tout seul. Il faut davantage de partage du pouvoir, un pouvoir plus horizontal, plus d’autonomie aussi en faveur des collectivi­tés locales et même des citoyens.

Vous n’êtes pas tendre non plus avec François Hollande, qui était pourtant « normal »… Il avait dit qu’il voulait être un Président normal, mais il ne l’a pas été tant que ça. Il s’est coulé dans les habits de la Ve République et a exercé le pouvoir d’une manière extrêmemen­t solitaire, en écoutant très peu les parlementa­ires, les ministres, ce qui lui a valu un certain nombre de déboires. Lui aussi, malheureus­ement, a succombé à une forme d’ivresse du pouvoir.

Les frondeurs n’ont-ils pas leur part de responsabi­lité dans l’échec du quinquenna­t ? Vous saviez dès le départ que François Hollande était plutôt un social-démocrate… La responsabi­lité est bien sûr collective. Le programme de  n’était pas un programme d’extrême gauche, mais c’était un programme de gauche. Il fallait simplement essayer d’appliquer ce pourquoi nous avions été élus. L’échec de François Hollande comme celui de Nicolas Sarkozy ne s’expliquent pas que par leurs personnali­tés, mais par un désamour et une crise de confiance des Français vis-à-vis de la politique. En , les Français voulaient l’applicatio­n d’un vrai programme socialdémo­crate, ce n’est pas une insulte, sauf que ça n’a pas été fait, c’est bien le problème. Pour vous, la politique active, c’est définitive­ment terminé ? Oui. J’ai tourné la page pour redevenir enseignant­e et revenir à la littératur­e, ce que je faisais avant la politique. Ayant été plongée dans ce monde du pouvoir, j’ai estimé qu’il était important pour moi d’en faire un objet littéraire, de travailler sur cette matière pour mieux cerner ce qui s’était passé. Quel regard portez-vous sur l’action des ministres qui vous ont succédé à la Culture ? Je ne suis plus dans la politique active. Je ne vais donc pas juger mes successeur­s ni replonger dans la politique politicien­ne que j’ai quittée avec bonheur. Je viens toutefois de soutenir la tribune écrite par Françoise Nyssen pour protéger les droits d’auteurs par rapport aux Gafa, les grandes multinatio­nales américaine­s, qui sont en train de piller toute la création, aussi bien celle des artistes que des journalist­es. Il faut absolument être très vigilant sur ce sujet. C’est notre souveraine­té qui est aussi en jeu.

On a l’impression que votre parcours ne vous a ni changée ni endurcie : vous êtes restée la fille révoltée de mineur communiste… Ce qui m’a endurcie, c’est de voir ce qui est arrivé aux mineurs et aux ouvriers de la sidérurgie là où j’ai grandi, en Lorraine. Mon engagement politique vient de là. Mon père était mineur, il est mort des suites d’une maladie profession­nelle et j’ai vu beaucoup de gens mourir ou être malades des suites de leur travail dans ma région. Ça forge et ça m’a donné des garde-fous vis-àvis du pouvoir et de ses attraits.

Mais abandonner le combat politique, c’est capituler… A un moment, si on mesure qu’on ne pourra pas agir – même un ministre ne peut pas choisir la ligne du gouverneme­nt –, il vaut peut-être mieux partir quand on se retrouve trop en contradict­ion ave ses idées. C’est ce que j’ai fait et qu’a fait Nicolas Hulot.

J’ai vu beaucoup de gens mourir des suites de leur travail”

 ?? (Photo PQR/L’Est républicai­n) ?? « J’ai tourné la page pour revenir à ce que je faisais avant la politique.»
(Photo PQR/L’Est républicai­n) « J’ai tourné la page pour revenir à ce que je faisais avant la politique.»
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France