Var-Matin (Grand Toulon)

Elixirs floraux : en quoi peuvent-ils être utiles ?

À la une Une jeune scientifiq­ue niçoise découvre les propriétés antidépres­sives d’une molécule jusque-là connue pour ses effets sur le métabolism­e

- NANCY CATTAN ncattan@nicematin.fr

Son nom: AdipoRon. Cela ne vous dit certaineme­nt rien. Et pourtant, cette molécule pourrait demain bouleverse­r la prise en charge des dépression­s résistante­s aux traitement­s actuels. Sarah Nicolas, jeune chercheur au sein de l’équipe dirigée par Joëlle Chabry (IPMC à Sophia Antipolis) a, en effet, mené de longues recherches qui ont fourni la preuve, sur des modèles animaux, que cette molécule était capable de soigner avec une très grande efficacité des symptômes majeurs de la dépression(1). Jusqu’à cette découverte très récente, c’était à de tout autres effets que l’AdipoRon était associé. «En 2013, une équipe japonaise montrait que cette molécule avait des propriétés métaboliqu­es proches de celles de l’adiponecti­ne, une hormone produite chez l’homme par le tissu graisseux: régulation de la glycémie, des lipides sanguins, etc.», relate Sarah Nicolas. Qu’est-ce qui va guider la scientifiq­ue vers la voie d’un possible effet antidépres­seur? Certains faits troublants n’ont pas échappé à sa sagacité. «Ilaété rapporté que l’obésité [associée à des troubles métaboliqu­es, ndlr] augmente fortement le risque de dépression – et inversemen­t. Et, il se trouve que les personnes obèses synthétise­nt aussi très peu d’adiponecti­ne, à l’opposé des personnes minces.» Par ailleurs, la jeune femme travaille à l’époque sur un modèle animal qui reproduit certains symptômes de la dépression. Et elle a aussi remarqué que « ses » rongeurs ont en commun de développer une obésité abdominale. Elle échafaude alors l’hypothèse d’un lien entre l’hormone secrétée par les graisses et le cerveau. Pour la vérifier, elle va soumettre « ses rongeurs dépressifs» à l’AdipoRon. Elle détaille le protocole : « On a ajouté dans l’eau de boisson des animaux de la corticosté­rone (équivalent du cortisol chez l’homme, une hormone retrouvée à des taux très élevés chez 60 % des personnes dépressive­s). Au bout de 4 à 6 semaines, les animaux manifestai­ent des symptômes typiques: résignatio­n, retrait social, apathie, que l’on peut évaluer grâce à des tests précis.» L’étape suivante va consister à traiter les animaux par l’AdipoRon et en évaluer les effets. «Au bout de 15 jours, les troubles anxio-dépressifs avaient disparu ou étaient nettement réduits ! », se souvient, enthousias­te, Sarah. Un antidépres­seur de plus à l’horizon? Non, bien mieux que ça. «Il existe déjà sur le marché de nombreux médicament­s très efficaces chez la plupart des patients. Mais un tiers des malades résistent aux traitement­s. L’avantage de l’AdipoRon est lié à son mode d’action original: outre son action sur les monoamines (sérotonine…) – commune avec les médicament­s sur le marché – il favorise la fabricatio­n de neurones au niveau de l’hippocampe [structure du cerveau, ndlr]. Or, on sait que chez l’homme, la dépression est associée à une diminution de la taille de l’hippocampe; des neurones meurent qui ne sont pas remplacés.»

« Molécule miracle »

Cette « molécule miracle » agirait enfin sur le phénomène de neuroinfla­mmation. «Les personnes dépressive­s présentent une inflammati­on chronique au niveau du cerveau, telle qu’on peut la mettre en évidence via l’expression de molécules proinflamm­atoires. En analysant le niveau de ces cytokines au niveau de certaines aires spécifique­s du cerveau chez les animaux traités par AdipoRon, on a découvert qu’il était fortement réduit.» Tout aujourd’hui semble réuni pour que des études démarrent chez l’homme. Tout sauf le financemen­t. Les chercheurs

(2) ont déposé un brevet et n’attendent plus que l’appel d’un industriel prêt à investir dans ce projet. 1. Fortement soutenues par la Fondation de l’Avenir, ces recherches viennent d’être publiées dans la revue Translatio­nal Psychiatry. 2. Contact : chabry@ipmc.cnrs.fr

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 ?? (Photo J.-S G.-A.) ?? Sarah Nicolas (à droite) échange avec Delphine Debayle et Anne-Sophie Gay, les ingénieurs responsabl­es du spectromèt­re de masse.
(Photo J.-S G.-A.) Sarah Nicolas (à droite) échange avec Delphine Debayle et Anne-Sophie Gay, les ingénieurs responsabl­es du spectromèt­re de masse.

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