Var-Matin (Grand Toulon)

Sylvain Tesson : « Lire Homère, c’est un baume »

L’écrivain voyageur était l’invité ce week-end des Rencontres de Port-Cros à Hyères. Il revient sur son dernier livre, Un été avec Homère, qui a caracolé en tête des ventes d’essais tout l’été

- RECUEILLI PAR S. MOUHOT

Veste noire sur chemise blanche, casquette Stetson en cuir, chevalière à tête de mort, cigare cubain Épicure n°2 et sac de baroudeur sur l’épaule. Dedans, des exemplaire­s fatigués de Du Côté de chez Swann de Marcel Proust, Les Travaux et les jours d’Hésiode, « un contempora­in d’Homère », et un recueil de poésie de François Villon. Sylvain Tesson, écrivain voyageur, est en instance d’embarqueme­nt pour Port-Cros, où se tenaient les rencontres littéraire­s ce week-end. Entretien.

Quelle est la génèse d’Un été avec Homère ? Radio France m’a proposé de produire une émission pour la collection « Un été avec » qui comprend déjà Montaigne, Baudelaire, Proust ou Hugo. Un an après l’émission, ces chroniques sont transformé­es en une publicatio­n. Moi, j’ai proposé Homère.

Pour cela, vous avez choisi de vous isoler sur Tinos, une île des Cyclades. Pourquoi ? L’île de Tinos n’appartient pas exactement à la géographie homérique. Mais je voulais être sur une île pour éprouver l’atmosphère méditerran­éenne qui traverse L’Iliade et L’Odyssée , le soleil, la lumière, le vent, l’odeur, la mer, l’insularité. Homère a été un passeur qui a transmis dans ses poèmes la géographie de la Méditerran­ée. Je me disais que je pouvais mieux comprendre ce qui apparaît dans le poème si je le vivais physiqueme­nt. Les îles, ce sont aussi les domaines les plus symbolique­s des Grecs. Toutes les îles sont des mondes qui voisinent mais ne communique­nt pas. Ce proche lointain, c’est ce qui me passionne dans le thème de l’île. Et puis, la véritable raison, c’était qu’il fallait que je m’isole pour ne plus être diverti et ne plus être soumis à la tentation, donc je suis allé m’enfermer dans un pigeonnier, ce qui m’a permis d’écrire très efficaceme­nt.

En quoi L’Iliade et L’Odyssée sontils constituti­fs de ce que sera le roman, même s’il s’agit d’un poème de plus de   vers ? On peut dire que c’est l’invention du roman, surtout L’Odyssée d’ailleurs, parce que c’est le long récit du parcours d’un homme, sa transforma­tion et son affronteme­nt avec son propre destin. C’est un peu la définition qu’on pourrait donner du roman. Deuxièmeme­nt, ça n’est pas une photograph­ie de la réalité puisqu’Homère est un poète de la mythologie. Donc, il a composé son oeuvre en recourant à l’imaginatio­n, cherchant en luimême les mondes qu’il nous expose. Enfin, et c’est le grand enseigneme­nt de L’Odyssée, Ulysse est l’homme de la curiosité. Arrivant sur une côte, plutôt que de prendre peur et regagner le large, il ne peut s’empêcher d’aller voir. « Tout ce qui se dévoile est beau », Priam sur les remparts de Troie, est mon vers préféré d’Homère, qui contient toute la pensée grecque. Ça veut dire que le soleil qui éclaire le monde nous donne à le voir, à l’aimer, à le protéger si l’on veut, il nous invite à des promesses et parfois nous expose à des menaces. C’est ça le paganisme grec, une acceptatio­n profonde de ce qui est là devant nous, la mer, le soleil, les bêtes, les plantes. Après, les Grecs ont inventé un arrière-plan divin, bien sûr, mais il y a d’abord un accordemen­t au réel.

Vous faites un parallèle entre l’oeuvre d’Homère et l’actualité, « la guerre que mène l’homme contempora­in contre la Terre au nom d’un progrès illusoire »... Je n’ai pas pu m’empêcher de croire qu’Homère nous donnait des éclairages sur les situations que nous vivons aujourd’hui dans ce monde global, surpeuplé, très soumis à la technologi­e, où les migrations sont en train de recomposer la carte des peuplement­s. À l’aune de ces grandes mutations, la lecture d’Homère est passionnan­te parce qu’on a l’impression qu’il donne des enseigneme­nts, il dit des choses. Le bréviaire de comporteme­nts qu’il propose, c’est de ne pas succomber à son désir d’ambition déchaîné ; d’essayer de contenir sa vie dans les limites de l’harmonie de la nature et de son ordre ; de se tenir héroïqueme­nt en demi-dieux en sacrifiant à une sorte d’éthique, de respect de la généalogie, de la nature et des autres. C’est excitant de tirer des enseigneme­nts d’Homère. On peut penser que c’est un travail absurde, puisqu’Homère ne pensait pas à notre monde quand il écrivait. C’est peut-être abusif, mais je ne peux pas m’en empêcher de penser que c’est un poème d’actualité. Et tant pis si ce n’est pas universita­ire, ce sera mon erreur.

‘‘ L’éternité de la valeur de ses propos est indéniable ”

Tout est-il bon à prendre chez Homère ? La taille des deux volumes effraie plus d’un lecteur. Mais les lecteurs ne sont jamais effrayés par l’idée de passer trois heures sur Facebook ! Comment expliquer qu’on soit effrayé de passer trois heures dans la beauté absolue, de rencontrer des nymphettes, des dieux et déesses, des hommes qui se battent sur des plaines ? J’ai aimé rencontrer des lycéens hyérois, jeudi. Nous avons conversé pendant une heure autour de L’Iliade et L’Odyssée, et je me disais que rien n’était perdu. Ces jeunes gens n’avaient pas du tout l’air ennuyés et j’espère que plusieurs d’entre eux iront vers Homère.

Comment expliquez-vous le succès que rencontre votre livre ? Il faut relativise­r les choses, je crois que c’est lié à cette collection qui a toujours bien marché. Antoine Compagnon avait rencontré aussi un grand succès avec Montaigne. Je crois que c’est une manière de « désintimid­er », c’est important de montrer qu’on peut lire Homère assez facilement. Dans le relatif désarroi actuel, spirituel ou lié à la technique, le fait de rencontrer et lire Homère est un baume. Homère a toujours eu du succès, il n’est pas démenti et ça continuera. Car l’éternité de la valeur de ses propos est indéniable.

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(Photo Laurent Martinat)

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