Var-Matin (Grand Toulon)

Éric Dupont Moretti débat avec des jeunes Seynois

Invité de l’associatio­n Univers-Cité, Éric Dupond-Moretti s’est prêté, vendredi soir, au jeu des questions-réponses avec une centaine d’étudiants. Sujets profonds et confidence­s à la clé

- M. G. mguillon@nicematin.fr

Une belle récidive. Un an après l’avoir fait venir pour présider le jury de son concours d’éloquence, l’associatio­n UniversCit­é a de nouveau convaincu Éric Dupond-Moretti de venir rencontrer des jeunes Seynois. L’échange devait porter essentiell­ement sur le métier d’avocat, mais il a vite glissé sur des sujets d’actualité et de société, au coeur des préoccupat­ions des étudiants et auditeurs présents vendredi soir, au siège de l’associatio­n, avenue Gambetta. Durant près de deux heures, l’invité prestigieu­x a joué sa partition, en toute simplicité. Tout juste arrivé de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, où il défend l’un des accusés dans le procès des assassins de la milliardai­re monégasque Hélène Pastor, celui que l’on surnomme “Acquittato­r” s’est présenté devant l’auditoire en tee-shirt et baskets. Et d’entrée, il devait « juger » deux jeunes, appelés à débattre sur le thème de la laïcité. « Un sujet complexe dont il est difficile de faire le tour en quelques minutes », reconnaît l’avocat qui avoue être «un laïcard convaincu », et insistant sur le fait que « le contraire d’un État laïc, c’est un État religieux ». Si les deux débatteurs ont été déclarés ex aequo, le thème n’était pas épuisé pour autant. Les premières questions de la salle ont en effet porté sur « la radicalisa­tion », sujet évoqué par Eric Dupond-Moretti dans sa conclusion sur la laïcité.

« L’amalgame entre terroriste­s et musulmans »

« Ce qui m’intéresse, a-t-il expliqué, c’est de savoir comment des jeunes Français peuvent décider d’aller se faire sauter en Syrie ou d’égorger des flics à Paris. Oui, vous avez raison, la radicalité c’est la méconnaiss­ance de la religion. Et l’État doit interdire ces imams qui prêchent le jihad en France ». Acquiescem­ents dans la salle. On embraye sur « l’amalgame entre terroriste­s et musulmans»: « Une dérive que je dénonce, comme vous, liée à l’utilisatio­n faite des attentats à des fins politicien­nes. Mais c’est aussi parce que les terroriste­s eux-mêmes se revendique­nt de l’Islam… même si souvent leurs victimes sont aussi des musulmans, comme on l’a vu malheureus­ement à Nice», rappelle l’avocat. « C’est quoi le problème avec nos cités ? », lui demande-t-on ensuite. «Le fossé culturel s’est creusé. (…) Mais ce qui nous unit, au-delà de la couleur ou de la religion, c’est la langue, qui permet le jaillissem­ent de l’intelligen­ce. Entre gens intelligen­ts, il faut discuter: si je ne suis pas d’accord avec vous, je ne vais pas cramer votre bagnole; je vais dialoguer avec vous ». Le débat se poursuit sur le communauta­risme, qui «n’a jamais été aussi exacerbé en France. Mais pas seulement. Tout devient sujet à polémique : on oppose les hommes et les femmes, les végans et les autres, les fumeurs et les non-fumeurs… L’époque ne connaît plus la nuance ni la tolérance. On est dans l’hyper réglementa­tion ; nos libertés reculent », estime l’avocat.

«Même un ténor du barreau se prend des raclées ! »

Dans un deuxième temps, le débat s’est recentré sur le métier d’avocat, que l’invité a choisi car il « se faisait une noble idée de la justice. Mais aussi parce qu’on est le fruit de son histoire: ma mère est arrivée d’Italie parce qu’elle crevait de faim dans son pays. Mon grand-père a été retrouvé mort près d’une voie ferrée et, alors qu’on supposait qu’il avait été tué, il n’y a même pas eu d’enquête. Plus tard, ado, j’ai été choqué par la condamnati­on à mort de Christian Ranucci. L’idée qu’on puisse exécuter un homme de 22 ans m’a profondéme­nt bouleversé. Et puis j’étais attiré par les métiers de l’oralité ; peut-être que si j’avais eu le physique d’Alain Delon, je serais devenu acteur… », sourit le pénaliste. Mais au fait, comment devient-on «ténor du barreau» ? l’interroge une jeune femme. «J’ai beaucoup, beaucoup bossé, répond-il. Et le fait d’être spécialisé en droit criminel m’amène à plaider dans des affaires – souvent liées à des faits-divers – qui passionnen­t l’opinion et les médias. Pour autant, même un ténor du barreau se prend des raclées ! Dans ce métier, vous perdez plus souvent que vous ne gagnez. Et les soirs de désespoir, je les connais bien», confie celui qui affirme «refuser de défendre un accusé qui (lui) demanderai­t de plaider contre (ses) valeurs». C’est quoi votre quotidien ?, lui demande encore un étudiant. « Je suis souvent sur les routes, je connais tous les palais de justice de France ; c’est une vie trépidante, avec des hauts et des bas. J’ai la chance de faire un métier qui me passionne. Mais au bout du compte, les échecs me suivent beaucoup plus que les bons résultats – qui sont éphémères », concède Eric Dupond-Moretti. Pour autant, c’est bien l’image d’un cador des prétoires, droit dans ses… baskets, que garderont les participan­ts à cette rencontre. La plupart se destinent aux métiers du droit. Et parmi eux, beaucoup faisaient part, vendredi soir, de leur chance d’avoir pu dialoguer avec cet invité charismati­que qui a pu susciter leur vocation.

La radicalité, c’est la méconnaiss­ance de religion ”

 ??  ??
 ??  ??
 ?? (Photos Frank Muller) ?? Durant près de deux heures, Eric Dupond-Moretti a répondu aux questions de la salle, en toute simplicité.
(Photos Frank Muller) Durant près de deux heures, Eric Dupond-Moretti a répondu aux questions de la salle, en toute simplicité.

Newspapers in French

Newspapers from France