Les pompiers en ont assez d’être agressés
La mort de l’un des leurs en région parisienne a marqué les esprits sur la Côte d’Azur, où ils subissent une recrudescence d’insultes, violences et menaces. Décryptage et témoignages
C’est hallucinant: on vient sauver les gens et, à la fin, c’est nous qui allons à l’hosto ! » D’une exclamation, le capitaine Jean Giudicelli résume toute l’absurdité de la situation. À Nice, dans la caserne Bon-Voyage dont il est chef de centre, cet officier confie le désarroi des troupes, face à un mal qui s’étend bien au-delà des quartiers sensibles. «Depuis deux ans, on note une recrudescence de violences urbaines et de violences individualisées visant un pompier. Sans mauvais jeu de mot, on est désarmé face à ce phénomène, tant au plan physique que psychologique… » Les chiffres sont éloquents. En France, 2280 agents ont été victimes d’agressions en 2016, soit 17,6 % de plus qu’en 2015, selon la Fédération nationale des sapeurspompiers de France (FNSPF). Celleci tient son congrès national du 26 au 29 septembre à Bourg-en-Bresse (Ain). Et ce sujet brûlant sera au coeur des débats, après le drame retentissant survenu dans le Val-deMarne.
«Froid dans le dos»
Le 4 septembre, un schizophrène poignarde deux sapeurs-pompiers venus le secourir. Geoffroy Henry, 27 ans, succombe à ses blessures. «C’est le cas extrême… Mais il fait froid dans le dos, confie le capitaine Giudicelli. Toute la famille des pompiers l’a vécu comme un réel drame. Ça nous interroge. Peut-on anticiper ce problème avec un schizophrène ? Chaque intervention étant différente, comment s’y préparer? » S’ils ne déplorent aucun drame à ce jour, les sapeurs-pompiers du Sdis 06 ne sont pas ménagés. Insultes, menaces de mort, coups… Au moins 34 affaires ont déjà été recensées depuis début 2018. Quasiment autant que durant toute l’année 2017 (37). «Cette violence est fréquente, certifie Jean Giudicelli. Les agents nous le font remonter. Ils disent que c’est dur. Et que ça fait mal… »
Caméras demandées
Mal au corps. Et au coeur plus encore. «Parfois, une insulte, c’est presque aussi violent que d’être frappé. Quand on attaque des gens qui viennent sauver des gens, on se dit: “Dans quel monde vit-on?” », soupire ce pompier chevronné. Il évoque «l’incompréhension, le nonsens d’être confronté à de l’hostilité. » «On n’a pas fait ce métier pour se faire poignarder », s’est récemment insurgé dans nos colonnes le Niçois André Goretti, président de la Fédération autonome des sapeurspompiers. L’avocat Jean-Marc Farneti, pour sa part, a rappelé au tribunal cette évidence : « Ils viennent pour porter secours, pas pour être agressés.» Alors, quelles solutions? D’abord, épauler les pompiers sur le terrain. Et faciliter la prise de plainte. D’où un protocole signé entre préfet, pompiers, gendarmerie et police nationale. « Dès qu’il y a une notion de danger ou de risque, ils nous aident à mener à bien nos missions. Car l’objectif final, c’est bien d’assurer le secours pour la victime!» ,insiste le capitaine Giudicelli. Les pompiers niçois ont été précurseurs en la matière. Dès 2003, le lieutenant-colonel Olivier Riquier – actuel patron du groupement Sud – et le commandant Olivier Pauletti ont établi un protocole d’intervention. En outre, les pompiers accueillent chaque année en caserne des centaines d’élèves de 5e, pour les sensibiliser à leurs missions. Prochaine étape : les caméras individuelles, autorisées depuis la loi du 3 août. La demande arrive en préfecture. En cas de feu vert, BonVoyage et deux autres casernes pourraient les tester d’ici Noël. Le capitaine Giudicelli croise les doigts : « Peut-être que l’image nous aidera à sécuriser nos interventions… »