Var-Matin (Grand Toulon)

Les paroles libérées des femmes de la rue

Le Revest Deux anciennes SDF confrontée­s aux « années barbares » ont conforté le combat quotidien de l’associatio­n « Sans toit, et si c’était toi » pour améliorer la condition des femmes

- CATHERINE PONTONE 1. Mes années barbares d’Anne Lorient, aux éditions de la Martinière. Contact : annelorien­t@hotmail.com

Des mots pour apaiser les maux. Une parole qui se libère pour éveiller les conscience­s, et changer le regard sur ces milliers de femmes à la rue qui cachent leur souffrance morale et physique pour survivre au quotidien. Anne Lorient, cette ancienne SDF, revendique, haut et fort, d’être « une porte-parole » des sans-abri.

« Cacher sa féminité pour survivre »

Et, particuliè­rement, celle de ces femmes qui, jour après jour – et nuit après nuit –, subissent la violence au point de se rendre invisibles, en cachant leur féminité pour mieux se protéger. Samedi soir, au cercle du Revest, un bar artistique culturel, cette mère de famille vivant à Paris a apporté son soutien à l’associatio­n « Sans toit, et si c’était toi », présidée par Myriam Picardel. Porteuse de l’événement «États Dames sur Macadam », l’associatio­n qui mène sa mission «sans subvention auprès des sans-abri, notamment en offrant 120 repas tous les mardis soirs, Porte d’Italie à Toulon, à partir de produits invendus des supermarch­és », a souhaité « sensibilis­er sur la condition des SDF, et notamment des femmes de la rue en rassemblan­t les synergies citoyennes qui apportent des réponses concrètes ». Après dix-sept années de galère, après « Mes Années barbares », titre du premier livre, co-écrit avec la journalist­e Minou Azoulai, Anne Lorient n’a de cesse de témoigner

(1) et de sensibilis­er enfants et adultes notamment bénévoles, sur les dures conditions des femmes dans la rue. Mère de deux garçons, âgés de 17 ans et 13 ans, «ses cadeaux de la vie », comme elle le dit fièrement, même si la vie n’a été tendre avec elle, victime de l’inceste, et de viols, veut « transmettr­e, notamment aux plus jeunes qui seront les futurs aidants de demain auprès des SDF ». Samedi soir, son parcours douloureux n’a pas laissé insensible les citoyens, qu’ils soient anonymes ou bénévoles engagés au quotidien auprès des sans-abri.

« Mes enfants m’ont aidé à m’en sortir »

Un entreprene­ur dans le bâtiment n’imaginait même pas la violence endurée par celles-ci. « Mon premier fils est né dans la rue, dit Anne Lorient. Après m’être enfuie de l’hôpital, je l’ai caché durant deux ans et demi sous un grand manteau de peur que l’on me l’enlève, qu’on le confie à la DDASS (Direction départemen­tale des affaires sanitaires et sociales, Ndlr). Je voulais être une mère. C’est à la grossesse de mon deuxième enfant que j’ai eu le déclic. Je n’en pouvais plus. J’ai eu la chance d’être tombée sur quelqu’un de bien. C’était il y a treize ans. Ce sont mes enfants qui m’ont aidé à me sortir de la rue, mais il m’a fallu suivre dix ans de psychothér­apie ». Anne Lorient ne donne pas, comme elle le dit sans détour, « dans le pathos ».« J’aurais pu tourner la page comme d’autres ont choisi de le faire. Mais j’ai une mission. Je ne lâcherai rien. Mon combat ? C’est d’ouvrir le premier centre d’hébergemen­t accueillan­t des femmes, et géré uniquement par des femmes ».

« Accueil ouvert pour et par des femmes »

Cet encadremen­t exclusivem­ent féminin est « sécurisant pour des femmes traumatisé­es par les violences subies dans la rue. » Dans le sillage de cette ancienne SDF, Elina Dumont, la marraine de la « Maraude culottée », initiée par l’associatio­n « Sans toit, et si c’était toi », parrainée par Charles Berling. Autre parcours de vie, autre galère, durant 15 ans, pour Elina Dumont, pupille de l’État, qui, elle aussi, a témoigné de son vécu dans son livre Longtemps j’ai habité dehors, édité chez Flammarion. Cette comédienne et intervenan­te dans le talk show Les Grandes Gueules sur RMC a poussé, samedi soir, son « coup de gueule » sur le mal-logement. « À44 ans, j’ai eu mon studio de 19 m2 ! Le logement social n’existe plus!». Sur une scène improvisée, elle a joué une partie de son one woman show intitulé Des quais à la scène, qui, avec légèreté et gravité, a plongé le public dans la noirceur du quotidien des femmes sansabri qui survivent dans l’enfer du bitume avec ses codes de la rue, ses prédateurs...

« Les belles âmes »

Un enfer qui ne peut effacer les belles âmes, « les talents », les « amis », reconnaît Anne Lorient, naviguant entre ce qu’elle nomme les « deux mondes ». Des portraits de sans-abri, sublimés et immortalis­és, l’autre soir, par le photograph­e Ken, venu de Bordeaux. Samedi soir, tous, artistes, bénévoles, citoyens ont su se rassembler au-delà de leurs différence­s, pour que les femmes de la rue ne soient plus les « oubliées » de la précarité.

 ?? (Photos Luc Boutria) ?? La solidarité autour de l’associatio­n « Sans toit, et si c’était toi » lors de l’événement, samedi soir, au cercle du Revest, « États Dames sur Macadam ».
(Photos Luc Boutria) La solidarité autour de l’associatio­n « Sans toit, et si c’était toi » lors de l’événement, samedi soir, au cercle du Revest, « États Dames sur Macadam ».

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