Var-Matin (Grand Toulon)

Alpes-Maritimes :  euros requis contre Cédric Herrou

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Le torchon brûle depuis des mois entre Cédric Herrou, figure emblématiq­ue de l’aide aux migrants, et Georges-François Leclerc, préfet des Alpes-Maritimes. Le premier s’est une fois de plus énervé contre le représenta­nt de l’État les 12 et 13 juin 2017. La SNCF ne voulait plus transporte­r quasi gratuiteme­nt les migrants de Breil vers la plateforme d’accueil des demandeurs d’asile de Nice. Cédric Herrou a alors lancé sur Facebook : « Peut-être que le préfet des Alpes-Maritimes pourrait s’inspirer des accords avec la SNCF pendant la Deuxième Guerre pour le transport des juifs pour gérer les transports des demandes d’asile. Bref… » Cette suggestion douteuse valait à l’agriculteu­r de comparaîtr­e hier pour « injure publique à un fonctionna­ire ».

« Ignominieu­x »

Après un interminab­le préambule sur d’éventuelle­s nullités de la procédure, place à l’instructio­n laborieuse de ce dossier. « Vous avez reconnu avoir été l’auteur de ces mots. C’est toujours le cas ? », demande la présidente Anne Vincent. « Oui bien sûr », répond le prévenu. « Vous avez un choix de mots particulie­r. Vous dites que vous interpelle­z les pouvoirs publics sur le ton de l’humour.» « C’était une forme de provocatio­n pour faire avancer les choses. » Herrou rappelle que 92 migrants souhaitaie­nt déposer une demande d’asile. La préfecture ne répondait pas. « On a finalement marché pendant trois jours jusqu’à Nice, rappelle le prévenu. La phrase est sortie du contexte. Pourquoi on devrait se censurer ? Si j’ai fait référence à la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas pour insulter M. le préfet mais pour faire réagir… » Me David Rebibou, avocat du préfet, qualifie les propos d’« ignominieu­x ». La partie civile demande 1 euro de dommages et intérêts. Georges Leclerc, présent, fait lire un communiqué par son conseil : «Je comprends et respecte ceux qui s’interrogen­t et discutent de la politique migratoire, dès lors qu’il n’y a ni invective, ni injure, ni arrière-pensée. »

« Pour le respect des victimes de la Shoah »

« Si j’ai déposé plainte, pour la première fois de ma vie, ce n’est pas pour sauver mon honneur personnel, qui importe peu, mais pour ne pas laisser dire qu’un préfet ne respecte pas la loi, et pour l’honneur des policiers et des gendarmes qui oeuvrent avec tant de courage sous ma direction, poursuit la partie civile. C’est aussi, et surtout, pour le respect de la mémoire sacrée des déportés, des victimes de la Shoah. » Le procureur rappelle que « seuls 2 % des migrants déposent une demande d’asile dans notre départemen­t. » Brigitte Funel requiert 5 000 euros d’amende : « Faire le parallèle avec plus de 75 000 juifs de France déportés en train constitue une injure. »

«Comparer l’incomparab­le»

Pour la défense de Cédric Herrou, Me Zia Oloumi ironise sur les nombreux soutiens (« qui ont dû prendre sur leur temps privé ») du préfet Leclerc. « M. Herrou ne sert-il pas l’État ? Lui aussi fait avancer les valeurs de la République, notamment la fraternité », plaide-t-il, tout en rappelant les condamnati­ons du préfet au tribunal administra­tif. Me Sabrina Goldman soutient également la relaxe de son client considéran­t cette procédure comme « infondée » : « Notre appareil d’État se parjure », estime la vice-présidente de la Licra. Le conseil de Cédric Herrou conclut en rendant hommage au préfet des Alpes-Maritimes de… 1943 : « Jean Chaigneau a ordonné la régularisa­tion de tous les juifs du départemen­t. » Initiative qui lui a valu d’être arrêté et déporté en 1944. « Il est parfois nécessaire de comparer ce qui n’est pas comparable ne serait-ce que pour faire bouger les conscience­s », conclut l’avocate en citant Guy Sorman. Le jugement sera rendu le 13 décembre.

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