Ce n’est pas un président qu’il faut à la France, c’est un magicien
Ce qu’il va annoncer ? Des mesures sonnantes et trébuchantes. Et audelà, sans doute, la mise en chantier d’un « nouveau contrat social ». Vaste programme. L’expression est de Le Drian. Elle dit le désarroi du pouvoir devant une crise en tous points inédite, qui a bousculé toutes ses certitudes. Elle dit aussi l’ambition d’en sortir par le haut. Mais estce encore possible ? Peut-il encore reprendre la main, celui dont le nom et la personne cristallisent aujourd’hui toutes les oppositions ? Etrange situation où les mêmes qui somment le président de la République de trouver les mots qui dénoueront la crise s’emploient sans relâche à disqualifier sa parole. Macron objet d’une détestation qui a basculé dans l’irrationnel. Responsable de tout. Et dont on exige tout et son contraire : qu’il neutralise les violents, mais sans violence ; qu’il s’occupe de la fin du monde et des fins de mois ; qu’il diminue les impôts et renforce les services publics ; qu’il tape sur les riches, mais sans les faire fuir ; enfin, qu’il restaure l’autorité de l’Etat, mais en « écoutant » les mille et une volontés d’un peuple plus insaisissable que du mercure. Ce n’est pas un président qu’il faut à la France, c’est un magicien. Ecouter qui, au fait ? Ecouter quoi ? Ne vous déplaise, ceci n’est pas un mouvement collectif : c’est l’addition d’une infinité de mouvements individuels, où chacun entend faire entendre sa voix, ses problèmes, ses solutions. En Mai-, les murs avaient la parole. L’avenir s’écrivait sur des affiches. Ce qui s’inscrit ici sur les gilets, en lettres noires sur fond jaune, c’est un inventaire des colères et des frustrations. Chacune plus ou moins légitime ; mais toutes ensemble, cacophoniques et inconciliables. De là la nébulosité et la radicalité des revendications et autres « directives du peuple », dont diverses versions circulent sur Internet, entre cahiers de doléances et lettres au Père Noël. De là le fait que le mouvement a tant de mal à se structurer et se doter de représentants autorisés à parler pour tous – tandis que des porte-parole auto désignés à la légitimité douteuse prétendent incarner le « peuple » et saturent les écrans de télé de leurs postures et de leurs surenchères. De là l’extrême violence qui entoure le combat des «gilets jaunes», et le contamine. Et électrise les esprits, la parole publique, le monde politique : la société tout entière. « Contagion émotionnelle », dit Boris Cyrulnik. Il y a des moments, dans l’histoire des peuples, où la raison prend congé. Sur une situation compliquée, il faut mettre des mots simples : nous sommes dans une tentative de renversement. Les institutions sont fortes, mais le pouvoir est faible. Entre les deux, l’histoire hésite. Tout ça, dans la France de , a un côté très e siècle. Internet et télés d’info en plus. Dans les têtes, un vague rêve de grand soir. Un goût de revanche. Sur la vie. Sur les injustices. Sur le mépris des « élites ». La fascination pour une scène inédite, excitante. SPECTACULAIRE. Car une crise sociale, c’est aussi ça : un spectacle. Des images, des émotions. Une aventure dont vous êtes le héros. Une parenthèse en couleurs dans le gris de la vie. Devant : la foule des manifestants, « braves gens » et émeutiers mêlés, qui se grisent de défier la police et faire trembler le « bourgeois ». Derrière : l’opinion, entre perplexité, bienveillance pour la France « d’enbas », et peur des casseurs. Pas mécontente que cet arrogant de Macron se fasse rabattre son caquet. Et puis les impôts, hein, c’est plus possible ! Mais se demandant « comment tout ça va finir » et si ce ne sera pas pire après… Mais après quoi ?