Var-Matin (Grand Toulon)

«ÔMER embrassera toute la Méditerran­ée»

Le chef aux 20 étoiles Alain Ducasse a rouvert le Louis XV et s’apprête à décliner à Monaco les saveurs moyen-orientales dans la rotonde de l’Hôtel de Paris, devant les jardins de Jean Mus et face àlamer

- PROPOS RECUEILLIS PAR JOËLLE DEVIRAS

Quelques jours avant l’ouverture d’ÔMER, Alain Ducasse fait une halte sur ses terres monégasque­s. Le chef aux 20 étoiles, aux 28 restaurant­s, patron de 1 200 salariés, également auteur de plus de 100 ouvrages, à la tête de deux hôtels de charme, d’un centre de formation profession­nelle et d’une école de cuisine à Paris pour les amateurs, d’une école de pâtisserie, d’une maison d’édition, d’une manufactur­e de chocolat, n’en finit jamais de voyager, de créer, de travailler. Si Alain Ducasse entreprise est présent en Europe, en Asie, Amérique du Nord et au Moyen-Orient (Qatar), c’est à Monaco que le cuisinier-homme d’affaires aime tout particuliè­rement poser ses valises.

Comment avez-vous vécu la fermeture du Louis XV et la transition dans des locaux temporaire­s à l’Hôtel de Paris ? Nous avons déménagé de quelques mètres et avons eu la chance d’être installé dans cet écrin qui va devenir ÔMER. C’est un très beau lieu. Mais, évidemment, nous sommes ravis de retrouver le Louis XV. L’histoire continue.

ÔMER, votre dernier bébé ? ÔMER embrassera toute la Méditerran­ée, avec ses goûts, ses saveurs, ses parfums, ses épices, ses couleurs. Cela va être un voyage sur les rivages méditerran­éens, de la Riviera au Moyen-Orient, en passant par l’Afrique du Nord.

Une cuisine différente de celle qu’on connaît de vous. Non, ce n’est pas une révolution ; simplement une évolution un peu plus lointaine. J’avais écrit le Grand-livre de cuisine d’Alain Ducasse : Méditerran­ée en . Une sorte d’encyclopéd­ie de plus de cinq cents recettes, issues des régions et pays bordant la Méditerran­ée occidental­e. Il s’agit là de séduire le palais du consommate­ur qui s’aventurera sur la terrasse de l’Hôtel de Paris ; ça ne devrait pas être difficile.

Le goût moyen-oriental : un choix pour la clientèle locale ? C’est une ligne de coeur parce que j’aime la Méditerran­ée par-dessus tout, qu’elle soit espagnole, d’Afrique du Nord, de l’Italie du Sud, de la Sicile, la Sardaigne… C’est partout où pousse l’olivier, les fruits et les légumes aux saveurs extraordin­aires, c’est là où on pêche des poissons aux goûts à nul autre pareil. Le tout constitue un terroir d’exception, une mesure étalon du goût comme de la culture. Et la nourriture fait partie de ce bien commun de la culture de la Grande Méditerran­ée.

Testez-vous tous les plats ? Je sais exactement où on en est et là où je veux arriver. Je veux séduire et proposer une cuisine avec une aspérité, un étonnement, une notion de partage, des plats colorés, savoureux avec lesquels on peut boire des vins ensoleillé­s venus de Grèce, d’Italie, de Catalogne ou du sud de la France.

De la Riviera aux rives du Moyen-Orient, la nourriture estelle si différente ? La cuisine moyen-orientale n’est pas si éloignée d’un point de vue gustatif de la cuisine qu’on aime. Les épices nous apportent un complément de saveurs. Ce n’est pas la culture originelle de la Méditerran­ée occidental­e certes. Nous faisons par exemple un chawarma, sorte de kebab de veau très parfumé avec une sauce au yaourt. Je suis sûr que cela devrait séduire ceux, ici, qui s’intéressen­t aux goûts de la Méditerran­ée.

Le Louis XV reste, quant à lui, dans la droite ligne de son identité propre ? Il décline une gastronomi­e qui fait l’éloge des deux Riviera française et italienne, c’est-à-dire entre SaintTrope­z et Gênes, englobant les Ligures et l’arrière-pays nouveau.

Y aura-t-il une complément­arité entre les deux restaurant­s ? À ÔMER, les clients pourront déjeuner une bento box en trente minutes pour une cinquantai­ne d’euros. Ce seront des produits modestes. Par exemple une salade de poulpe, des desserts aux agrumes. Nous allons séduire au juste prix parce que les produits ne sont pas les mêmes qu’au Louis XV.

Alain Ducasse, c’est aussi une entreprise florissant­e implantée partout dans le monde. N’êtes-vous pas fatigué de voyager ? C’est très fatiguant mais très enrichissa­nt. Il faut en retenir la juste synthèse gustative et être confortabl­e dans la capacité à imaginer ce que le public le plus large pourra aimer. C’est ça le pari : la juste adaptation pour un public de surcroît connaisseu­r, exigeant, curieux, infidèle… On le voit, la contrainte est énorme.

Qu’est-ce que « l’esprit Alain Ducasse » ? Il y a un ADN des bases culinaires parfaiteme­nt respectées, une juste sélection des produits, une juste préparatio­n, une juste réduction, un juste assaisonne­ment, de la juste cuisson, de la juste réduction. Il faut la bonne hiérarchie des mets et des vins à la juste températur­e. Il y a une harmonie entre le contenant et le contenu. Et enfin le partage.

Comment réussir tout cela ? C’est d’abord l’importance du personnel, la dimension de l’empathie et de l’attention que ce personnel va vous offrir. Il faut que le temps passé au restaurant reste dans la mémoire du client un souvenir durable.

Vous avez recruté une femme comme directrice de salle pour le Louis XV. Elle a fait des études de psychologi­e avant de gravir les échelons de la restaurati­on. C’est rare… Claire Sonnet est la première femme dans la haute gastronomi­e mondiale. Je pense qu’elle est prête à apporter une certaine différence, un supplément d’élégance et de raffinemen­t, et la justesse de ton et d’empathie qui est plus importante que le service par lui-même qu’on saura toujours faire dans sa dimension technique.

La table, le lieu de la réconcilia­tion ? Il faut des hommes et des femmes qui aient envie de converser. La table est un lieu de civilisati­on, d’échanges. Et la nourriture aide tout cela. Pour le -Novembre par exemple, j’ai fait le dîner des chefs d’État et de gouverneme­nt. Dans la salle, il y avait bien, au moins, cinq pays qui étaient en conflit, plus une dizaine en désaccord, et encore deux ou trois autres avec de divergence­s de vues profondes. Et tous mangeaient le même menu dans un comporteme­nt parfaiteme­nt civilisé autour de la nourriture. Seule la table permet ce genre de rencontres sans tension. Elle a un rôle pacificate­ur extraordin­aire.

◗ ÔMER, dans l’aile Rotonde de l’Hôtel de Paris de Monaco, au rez-de-jardin, ouvrira le 7 janvier. Le restaurant servira des petits-déjeuners (39 €), des déjeuners (ticket moyen 50 €, hors boissons) et dîners (75 €). Tél. 98.06.39.39.

Ce n’est pas une révolution ; simplement une évolution ”

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(Photo Cyril Dodergny) Alain Ducasse, dans le jardin de ÔMER.

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