Var-Matin (Grand Toulon)

« Donner aux non sachants le pouvoir de décider »

Avec son ami Jacky Giral, le Hyérois Jean-Claude Alberigo est coauteur d’un essai sur la démocratie participat­ive. Un propos qui tombe à pic, alors que s’ouvre aujourd’hui le grand débat national

- RECUEILLI PAR S. MOUHOT

Jean-Claude Alberigo est un écologiste bien connu à Hyères pour avoir mené plusieurs campagnes électorale­s. Désormais en retrait de la vie publique, installé à Cuers, il reste un partisan engagé de la transition écologique. Avec son ami Jacky Giral, il signe un livre d’analyse qui tombe à pic, Pour une démocratie citoyenne, Partager le pouvoir , sorti chez L’Harmattan (228 pages, 22,50 euros) et disponible depuis quelques jours.

Quelle est la nature de votre relation avec Jacky Giral ? Nous nous sommes rencontrés quand nous étions jeunes au collège de Cuers. Il y a toujours eu un lien de réflexion entre nous. Tous les deux engagés dans la vie associativ­e et l’éducation populaire, nous nous sommes retrouvés en politique, même si je suis entrée chez les Verts bien avant lui. Nous nous rejoignons sur la notion de démocratie comme idée, mais aussi comme pratique. Le mouvement des gilets jaunes est peutêtre la dernière étape de cette réflexion.

Quelle est votre méthodolog­ie ? Nous avons travaillé sur ce livre à partir de fin , à la suite des mouvements d’occupation « Occupy Wall Street », des Indignés espagnols qui ont donné naissance à « Podemos » et les « Nuit debout » en France. Nous nous attachons aussi à l’exemple italien du mouvement «  étoiles ». Après un bref retour aux sources de la démocratie athénienne, un passage par le XIXe siècle où le mot démocratie était presque un gros mot en France, nous faisons le constat d’une demande renforcée de démocratie citoyenne. La démocratie représenta­tive telle que nous la connaisson­s, avec la nomination de nos représenta­nts tous les cinq ans, est épuisée. C’est la clé de la crise actuelle. La question est de savoir comment dépasser et renouveler la notion de démocratie directe.

Vous n’épargnez pas le système présidenti­aliste à la française... En France, tout découle de l’élection présidenti­elle. La constituti­on de  donnait le pouvoir au Parlement, mais l’inversion des scrutins législatif et présidenti­el a changé la donne. La législativ­e est devenu le « e tour de la présidenti­elle ». Emmanuel Macron, qui a fait % des votes au er tour, obtient % de députés En Marche à l’Assemblée, avec la capacité de décider de tout, pratiqueme­nt sans opposition. La filiation monarchist­e s’est en ce sens accentuée. Mais un an et demi plus tard, le Président est décrié comme peut-être aucun ne l’a jamais été, sans doute de façon excessive. Cela montre que le système est dépassé. Il n’y a pas forcément de fatigue démocratiq­ue et on peut s’en sortir par davantage de démocratie.

Vous défendez l’idée de référendum citoyen ? Sur les questions d’actualité, ce peut être un bon complément à la démocratie représenta­tive. Si l’on a toujours besoin de représenta­nts, il est aussi important de donner aux « non sachants » le pouvoir de décider. La Suisse pratique les votations depuis plus d’un siècle. En France, le référendum pourrait être abrogatif (le peuple peut modifier une loi en cours de constituti­on), d’initiative populaire (le peuple soulève une question majeure comme la sortie du nucléaire, une alimentati­on de qualité, etc.), constituti­onnel (modificati­on de la Constituti­on) et révocatoir­e (le pouvoir de révoquer un élu s’il est contesté).

Vous proposez d’introduire de la proportion­nelle aux élections législativ­es ? Des études montrent qu’à moins de  % de proportion­nelle, cela tient du gadget. Nous sommes favorables à une proportion­nelle intégrale. On me dit que cela favorisera les extrêmes. Mais limiter la démocratie, c’est l’affaiblir. Nous faisons une simulation dans le livre : la majorité aurait été stable mais la République en marche aurait dû trouver des alliances avec le Modem. La contrepart­ie, c’est que la représenta­tion des partis devient plus conforme à la réalité. Dans cette configurat­ion, la loi travail aurait pu être ouverte au référendum. Pour le mariage pour tous, le débat se serait imposé parce que la question méritait qu’on s’y attarde. Il faut oser poser les questions au peuple. Il manque aussi, dans notre démocratie représenta­tive, des élections de mimandat à l’américaine, qui permettrai­ent de « décrocher » le Parlement du gouverneme­nt.

Le grand débat national ? Nous y sommes favorables. Pour autant, si le gouverneme­nt continue à ne pas tenir compte de l’avis des citoyens, la situation risque de s’aggraver. L’ISF est révélateur d’injustice sociale et de revendicat­ion sociale. S’il n’est pas rétabli, ou si aucune réponse n’est apportée à la question de la taxation des dividendes, ces points sont potentiell­ement dangereux.

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(Photo Laurent Martinat) Jean-Claude Alberigo défend notamment l’idée d’une proportion­nelle intégrale aux élections législativ­es.

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