Var-Matin (Grand Toulon)

Patrice Laisney, passionné par l’enfance

Le directeur du Pôle jeune public vient d’être fait Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Mais il fut aussi artiste. Retour sur un parcours singulier, alors que le Pôle élargit de plus en plus son public

- VALÉRIE PALA

Il est un acteur culturel de cette période unique où tout se joue : celle de l’enfance. Pour avoir déniché, aidé à créer et surtout montré des spectacles modernes, ouverts, toujours plus époustoufl­ants les uns que les autres, Patrice Laisney, directeur du Pôle jeune public vient d’être nommé à 59 ans, Chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Pour faire connaissan­ce avec cet homme discret aux chemises fleuries, dont les amis louent l’humilité, un détour par l’enfance s’impose. En l’évoquant, ce Toulonnais se surprend lui-même à y trouver des corrélatio­ns avec son parcours d’adulte, entre un père ingénieur à l’Arsenal, chercheur en communicat­ions sous-marines pour les bathyscaph­es, féru de sons - « pour un enfant, c’est un monde complèteme­nt imaginaire », se souvient-il, et une mère qui travaillai­t à la maison d’enfants de La Beaucaire. Avant de réaliser certains de ses rêves, il a connu plusieurs aventures, composées de rencontres, qui l’ont fait, dit-il. « Pour moi, ce n’est que ça. Celles que j’ai saisies ont été des tournants dans ma vie ». Fidèle, il en citera tous les noms (1).

Marionnett­iste !

Une, déterminan­te, fut, comme pour un certain Charles Berling, Châteauval­lon, et son centre culturel de l’époque, dirigé par Gérard Paquet. Ce lycéen avait déjà égayé les couloirs de Bonaparte pendant les cours avec une marionnett­e de sa fabricatio­n. « A17 ans, je monte à mobylette à Châteauval­lon avec ma copine, raconte-t-il . On se promène et on voit une affiche pour un spectacle de marionnett­es ». L’histoire ne dit pas si l’adolescent­e goûta l’idée, mais lui en ressort « fasciné ». Il parle aux marionnett­istes, Nine et Roger Jouglet, qui l’invitent à revenir. « De mercredi en mercredi, comme un vrai apprenti, j’ai beaucoup regardé, puis je suis passé derrière ». Il choisit pourtant de devenir éducateur spécialisé, sensibilis­é à la cause du handicap, avec un oncle trisomique (2). Ses grands-parents ont fondé, en l’absence de prise en charge à l’époque, une associatio­n devenue nationale, « Les papillons blancs », pour offrir à ces enfants un apprentiss­age et plus tard, un travail, au sein des CAT (3). Une chance pour son oncle, aujourd’hui âgé de 70 ans. Mais les marionnett­es ne lâchent pas Patrice Laisney. Il devient quelques années plus tard profession­nel, fait des tournées, retrouve Châteauval­lon, monte notamment Ubu et sa propre compagnie Imao, versée notamment dans le théâtre d’objet. Parmi ceux qui l’inspirent : l’Américain Eric Bass. Afin de ne pas passer à côté de l’éducation de ses enfants, il repasse finalement de l’autre côté du rideau, pour devenir assistant des relations publiques de la compagnie de théâtre Massalia, dans un petit appartemen­t dans le centre de Marseille d’abord, puis dans la Friche Belle de Mai, dans les années 1990, formidable terrain de jeu, pour plasticien­s aussi.

A l’avant-garde

« Je me rappelle d’un spectacle où l’on amenait les gens en train. Ils descendaie­nt et étaient sur le quai, face à une scénograph­ie de 20-25 mètres ». Devenu directeur adjoint de Philippe Foulquié, créateur de Massalia, il se voit confier la programmat­ion pour le jeune public. Sa chance. « Ce n’était pas sa préoccupat­ion, mais moi, j’ai toujours eu envie de le défendre ». Il y fait venir les compagnies « qui ont fait les premières heures du théâtre d’objet » : Théâtre de cuisine, Vélo théâtre, Manarf... On ne sera pas non plus surpris d’apprendre qu’il y monte régulièrem­ent des chapiteaux qui reçoivent les Romanès et autre Trottola...

Monter jusqu’au Revest : pari gagné

Après les 4 saisons du Revest, la Direction régionale des affaires culturelle­s, la Métropole et son pays, tout bonnement se rappellent à lui. Sollicité, il fait la programmat­ion d’une première saison jeune public, porté par Massalia, en 2005. « En faisant venir une compagnie européenne, j’ai attaqué direct, je n’avais pas envie de faire un théâtre jeune public bêtifiant », précise-t-il. Au sein de l’associatio­n Pôle jeune public que l’on connaît, installée Maison des Comoni, au Revest, il n’a jamais dérogé à cette règle. « Il fallait arriver à faire monter les gens ici, quand même ! Certaines familles viennent vite vite en rentrant du boulot, mais me disent que c’est intéressan­t parce qu’après, il y a le débriefing dans la voiture ! Je me dis que c’est un beau métier de donner cette ouverture : développer la critique dans le bon sens du terme. »

Maintenant, place aussi au cirque !

La scène labellisée s’est ouverte au cirque avec une saison dédiée à cet art, depuis 2016, à La Seyne, notamment, après l’arrêt de « Janvier dans les étoiles ». « Un public qui ne va pas forcément au théâtre poussera plus facilement la toile du chapiteau. Et le cirque aujourd’hui est presque une pièce de théâtre, ce sont toutes les dimensions, de la chorégraph­ie à la scénograph­ie, en moins convention­nel que le théâtre. Un acteur qui dit un texte sur un trapèze, ce n’est pas la même chose que les deux pieds au sol ! », s’enchante-t-il. Lui qui pense qu’ « on peut parler de tout aux enfants », pour peu qu’on le fasse bien et qui déteste les dessins animés moralistes a choisi une chanson de Jacques Higelin, ode à l’enfant, L’innocence, pour son discours de remise de médaille : « Et ton regard innocent et ton esprit honnête, garde les toute ta vie, car la simplicité est la marque des grands ». 1. Nous ne pourrons malheureus­ement pas tous les citer. 2. Et « mis sur les rails de l’éducation et de l’animation », précise-t-il, par son ami Bernard Mlodorzenn­iec. 3. Centre d’aide par le travail.

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(Photo Patrick Blanchard) « Je me dis que c’est un beau métier de donner cette ouverture : développer la critique dans le bon sens du terme », explique Patrice Laisney.
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(Photo DR Hortense Hebrard Patrice Laisney a reçu ses insignes des mains de Yann Tainguy, ajoint à la culture de la ville de Toulon et conseiller TPM. Une cérémonie émouvante, en présence de ses amis, sa famille, dont ses parents.

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